Le Breakdance aux Jeux: Comment en est-on arrivé là ?

Ils étaient cinq à Tokyo, ils seront désormais quatre. Paris 2024 a choisi de retenir comme sport additionnel le surf, le skate et l’escalade, ainsi que le breakdance qui fait sont entrée dans le programme olympique à la surprise générale.

Des critères, certes

Selon Tony Estanguet, président du Comité d’Organisation des Jeux Olympiques (COJO), le choix de ces quatre sports additionnels a été guidé par trois principes:

  • Des jeux durables (nombre d’athlètes limité, pas de construction spécifique)
  • Des jeux connectés avec les nouvelles générations et les nouvelles pratiques
  • Des jeux respectant l’identité de Paris 2024: spectacle, créativité, accessibilité, rapprochement entre le sport de la culture

Le premier point suffisait à mettre hors course un sport comme le baseball groumant en athlètes et nécessitant une nouvel équipement. Le deuxième éliminait sans doute la pétanque dont la qualité première n’est pas son attrait auprès de la jeunesse. Le troisième a probablement permis d’affiner le sélection et à peut-être aidé à sélectionner le breakdance.

Un critère n’apparaît pas ici: la popularité respective des sports en France. C’était pourtant l’une des raisons d’être de ces sports additionnels lorsqu’ils avaient été présentés en 2013 en marge de l’Agenda 2020. C’était aussi l’un des critères qui avaient commandé la présence du karaté et du baseball à Tokyo. Ici, seule la perspective de médailles françaises semble avoir jouer un rôle mineur.

Il n’y à en réalité rien de particulièrement français ou parisien à cette sélection. Les sports retenus ne sont pas particulièrement plus populaires ici que chez nos voisins (à l’exception partielle du surf). Le choix de ces quatre sports aurait tout autant pu être celui de Londres, Rio, Chicago ou Berlin.

Au delà de la popularité en France, la popularité globale de chaque sport ne semble guère avoir été prise en compte, si ce n’est celle auprès d’une petite partie de la population. Clairement ici, il ne s’agit pas d’une sélection au mérite.

En réalité, au fur et à mesure de la procédure, un grand flou s’est dessiné autour des critères de sélections. Même le nombre de sports retenus a longtemps fait office d’énigme, n’étant finalement relevé que ce matin en même temps que les noms des quatre sports retenus.

En début d’année, au moment de son audition par les membres du COJO, le karaté – l’un des favoris à priori pour être retenu – croyait avoir « coché toutes les cases ».  Même chose pour le squash qui pensait avoir « répondu à toutes les demandes ». Preuve que non. Preuve également que les sports en compétition ne savaient pas réellement quelles cases ils avaient à cocher. Les différents sports se sont engagés dans cette course sans réellement en connaître les règles.

Francis Didier, président de la Fédération Française de Karaté, pensera sans doute longtemps que la décision « était faite d’avance ». Qu’on les a convié à un tournoi dont on connaissait déjà le vainqueur. Que les raisons derrière la décision lui échappaient en réalité. De fait, les principes exposés plus haut par Paris 2024 peuvent sonner aux oreilles de certains comme des justifications à posteriori d’une décision déjà prise avant et peut-être ailleurs…

Des Jeux jeunes et urbains

« Les nouvelles épreuves passionnantes dont nous avons approuvé l’ajout constituent un changement majeur apporté au programme olympique. Je suis ravi que les Jeux Olympiques de Tokyo soient plus jeunes, plus urbains et qu’ils accueillent davantage de femmes. » Thomas Bach, juin 2017

Plus jeune et plus urbain. On ne pourrait pas mieux résumer l’ambition actuelle du mouvement olympique. Depuis son arrivée à la tête de l’Institution olympique en 2013, Thomas Bach n’a pas dévié de cette ligne. Les choix que viennent d’effectuer Paris 2024 le confortent dans cette politique.  Des trois critères définis précédemment, celui qui est revenu avec le plus d’insistance lors de la conférence de presse du jour est d’ailleurs celui de la jeunesse. Il a été répété à l’envie sur scène.

Ce que souhaite le CIO avant tout autre chose, c’est de rajeunir l’audience des Jeux Olympiques qui ne cesse de vieillir. Aux Etats-Unis l’âge médian des téléspectateurs est aujourd’hui de 48 ans et les plus jeunes semblent se désintéresser des Jeux Olympiques.

Les quatre sports choisis par Paris – comme en partie ceux déjà retenus par Tokyo – cherchent à répondre à cette simple question: Comment intéresser la jeunesse du monde aux Jeux Olympiques ? Et ne nous y trompons pas, si l’Esport n’est pas au programme ici, c’est essentiellement pour des raisons techniques (absence d’une fédération internationale). Son tour viendra rapidement.

Mais pour l’heure, ces nouveaux sports à la mode olympique n’ont pas encore été testés. Certes, il existe peut-être des millions d’amateurs de skate ou de breakdance dans le monde. Mais combien seront-ils à s’intéresser à ces pratiques dans le cadre des Jeux olympiques, encombrées de ses hymnes, de ses drapeaux, de ses dossards et de règles précises ? A cette heure, personne ne peut garantir le succès de ces nouveaux sports.

Il y a un point géo-politique également intéressant à noter dans ces choix. Trois de ces sports (ainsi que le BMX freestyle et le basket 3*3 qui feront leur début à Tokyo comme nouvelles disciplines de sports déjà existant) sont des sports américains, qui sont nés et/ou se sont développés de l’autre coté de l’Atlantique. Si les années 80 et 90 semblent avoir été celles de l’Asie avec l’ajout de nombreux sports ou le continent excelle (trampoline, badminton, tennis de table, taekwondo), la donne semble avoir changé avec l’arrivée de Thomas Bach.

Inutile incertitude

Comme viennent de le réaliser le baseball et le karaté, ce statut de sport additionnel n’offre aucune garantie. On peut sortir du programme avant même que son premier combat ait été disputé.

Si pour le baseball qui peut s’appuyer sur un riche secteur professionnel aussi bien en Amérique qu’en Asie, ne pas apparaître au programme olympique n’est pas un problème incommensurable, pour un sport comme le karaté qui ne génère pas ou presque pas de revenus et qui s’était tourné entièrement vers l’olympisme, il en est tout à fait différemment.

Une telle discipline ne peut pas jouer son avenir tous les quatre ans et être soumis au bon vouloir d’une procédure dont certains tenants semblent lui échapper. Ce sport, comme quelques autres qui tapent régulièrement à la porte de l’olympisme, doit connaitre son avenir à 10, 20, 30 ans. C’est à ce prix qu’il pourra mener une politique de développement.

Ce problème n’est d’ailleurs pas nouveau pour l’olympisme. Il a longtemps existé une liste de sports facultatifs au programme soumise au bon vouloir des pays hôtes ou du CIO. La stabilité qui était de mise depuis les années 70 est aujourd’hui de nouveau contrariée.

Dans la perspective actuelle des sports additionnels, lasser le choix de ces sports aux comités d’organisation n’a plus guère de sens, puisque ces critères ne sont plus liés au pays organisateurs mais au besoins du CIO. Ces critère seront les mêmes à peu de chose près à Los Angeles. Si le Comité Olympique juge que certains sports sont nécessaires au futur de l’olympisme qu’il prenne la décision de les intégrer au programme olympique de marnière définitive au même titre que les 28 autres sports olympiques. Et que les sports qui n’ont pas vocation à devenir olympique soient au moins mis au courant. Cela aura au moins le mérite de la clarté.

Une fois la question de ces nouveaux sports réglée, on pourrait alors songer revenir à une politique de sports de démonstration telle qu’elle a existé jusqu’en 1992. Limité à un ou deux sports avec un fort ancrage national/régional, ces sports de démonstration nouvelle formule pourraient facilement mettre en valeur les Jeux olympiques. Personne n’aurait ainsi renié un tournoi de cricket au Lord’s Cricket’s Ground durant les Jeux de Londres, ou une démonstration de capoeira sur les plages de Copacabana durant ceux de Rio.

Une belle occasion manquée, non ?

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