Tribulations du Programme Olympique

Du premier Congrès Olympique en 1894 à l’Agenda 2020, la question du programme olympique a toujours été une question centrale de l’Olympisme.

Les Jeux Olympiques de l’Ère Moderne

Le 16 juin 1894, lorsque s’ouvre ce qui sera connu par la suite comme le premier Congrès Olympique de l’histoire, aucun des intervenants n’a sans doute conscience en arrivant à la Sorbonne de la portée historique de cette réunion. Les grands traits de l’olympisme sont pourtant déjà tirés: amateurisme, élitisme et universalisme. Athènes est choisie pour accueillir les premiers Jeux Olympiques de l’Ère Moderne en 1896. Paris suivra en 1900.

Concernant le choix des futurs sports olympiques, le Congrès se refuse à une quelconque sélection précise. Les hommes de la Sorbonne se contentent d’une déclaration d’intention:

« Que les Sports suivants soient, autant que possible, représentés aux Jeux Olympiques : Sports Athlétiques, Sport Nautiques, Jeux Athlétiques, Patinage, Escrime, Boxe, Lutte, Sports Hippiques, Polo, Tir, Gymnastique et Vélocipédie ».

En réalité, Coubertin se charge seul d’établir le premier programme olympique, s’aidant de spécialistes rencontrés en France ou en Angleterre. Quelques sports cités au Congrès disparaissent comme le polo, la boxe ou de manière plus surprenante le football (association et rugby). Hormis le cricket, tous les sports  choisis initialement par Coubertin sont encore au programme olympique aujourd’hui . Cette douzaine de sports historiques représentent d’ailleurs encore près des deux tiers des épreuves disputées.

Le programme originel des Jeux de 1896

Malgré quelques écueils (les épreuves de voile, d’aviron, de water-polo, d’équitation et de cricket ne se tiendront pas faute de concurrent ou à cause de l’impossibilité technique de les tenir à Athènes), la procédure a le mérite de la simplicité (un programme dessiné par le CIO et un pays hôte ayant la charge de l’appliquer). Cela n’allait pas durer.

« Un programme mesquin et indigne »

Au début du XXe siècle, l’olympisme est encore une toute petite chose et le sport est un objet tout à fait secondaire dans les affaires du monde. Les grandes fêtes universelles de l’époque sont les grandes expositions qui fleurissent épisodiquement dans les grandes capitale industrielles.

Pour prospérer, l’olympisme chercher l’appui de ces grandes manifestations. En 1900, 1904 et 1908, Jeux Olympiques et Expositions Universelles se marient. En retour, des concessions sont nécessaires. Ce sera particulièrement vrai dans le cadre des Jeux de 1900.

Les membres de l’Exposition Universelle 1900 ne portent pas grand intérêt à l’idéal olympique et se font une idée tout à fait différente des ‘Concours internationaux d’exercices physiques et de sports’ qu’ils souhaitent  organiser en marge de l’Exposition. Le programme olympique proposé par Coubertin est jugé « mesquin et indigne de la nation ».

A l’élitisme aristocratique de Coubertin s’oppose le républicanisme des tenants de l’Exposition. Leur conception du terme sport diffère également. La qualité athlétique des sports semble leur échapper. La différence entre un concours de pêche à la ligne ou de course de pigeons et un match de football ou un concours de gymnastique ne semble pas manifeste à leurs yeux.

Étalés sur plusieurs mois, ces deuxièmes Jeux de l’Ère Moderne comptent plus de 58 000 inscrits répartis dans 477 épreuves issus de 34 sports différents. Ils étaient 300 athlètes à Athènes.

Notre bon Baron devant le spectacle des Jeux 1900  

Coubertin jugera que ce fut un miracle que les Jeux Olympiques survivent à l’expérience de 1900.

Afin de rétablir un peu d’ordre et d’imposer sa marque, le CIO promeut en 1908 la Charte Olympique qui entre autres choses  définit des catégories de sports obligatoires : sports athlétiques, sports gymniques, sports de combat, sports nautiques, sports équestres et pentathlon. Les organisateurs gardent cependant la main sur le programme olympique, sur lequel le CIO donne ensuite son aval.

De fait, le programme olympique est souvent un compromis entre le Comité Olympique et les organisateurs. En 1912, la boxe n’apparaît pas à Stockholm de peur de déplaire au public suédois, mais les organisateurs sont contraints d’organiser des épreuves de gymnastique à agrès pourtant contraire aux principes suédois en la matière mais imposée par le CIO.

Certains sports sont plus égaux que les autres

La nécessité d’un programme olympique standard que l’on retrouverait d’olympiade en olympiade se fait de plus en plus manifeste. Dès 1909, une commission est fondée en ce sens.

A la veille de la Grande Guerre, 20 ans après le congrès qui avait permis le rétablissement des Jeux, un congrès extraordinaire est réuni de nouveau à Paris en Juin 1914 pour – enfin – établir un programme olympique pérenne pour les futures échéances olympiques. Ce programme reprend pour l’essentiel celui élaboré en 1894 et inscrit dans la charte de 1906. Il dessine deux catégories de sports:

  • Les sports obligatoires: Athlétisme, Gymnastique, Haltérophilie, Sports de Combat (Boxe, Escrime, Lutte et tir), Aviron, Natation, YVoile, Equitation, Pentathlon Moderne, Sports Cyclistes,  Football et Tennis
  • Les sports facultatifs: Rugby, Hockey sur Gazon, Golf, Tir à l’Arc, Polo, Hockey sur Glace, Patinage et Ski

Les organisateurs pourront choisir ou non d’inclure dans leur programme un ou plusieurs de ces sports facultatifs avec comme seule limite que les compétitions concernent au moins cinq pays. Les trois sports d’hiver disparaîtront très vite de cette liste après l’introduction des Jeux Olympiques d’Hiver en 1924.

Le rugby aux Jeux de 1924. Sport facultatif, il ne réapparaîtra pas avant 2016.

Après les sports obligatoires et les sports facultatifs, le CIO étrenne en 1921 une nouvelle dénomination: les sports de démonstration. Désormais, les villes hôtes peuvent désigner deux sports de démonstration: l’un national, et l’autre étranger. Intégré à la quinzaine olympique, ces sports ne distribueront pourtant pas de médailles olympiques. Ce principe survira jusqu’en 1992.

Normalement fixé à deux sports par olympiade, le principe subira de nombreuses fluctuations. Dès 1924, Paris brise la règle en proposant deux sports nationaux (la pelote basque et la boxe française) en plus du canoë étranger. Certaines villes n’en proposeront aucun (1976 et 1980), Séoul en 1988 en inscrira cinq.

Dans le même temps, les premières discussions sur la taille des jeux apparaissent. On pointe déjà le risque de ‘gigantisme’. L’une des premières propositions en ce sens en 1924 demande à ce que les sports collectifs soient supprimés du programme.

La réduction du programme des Jeux – qui ne compte pourtant guère plus d’une centaine d’événements – est inscrit au IXe Congrès Olympique prévu à Berlin en 1930. Parmi les options envisagées, on note notamment la suppression des épreuves féminines portée par les pays scandinaves qui n’ont visiblement pas encore embrassé les idées féministes. D’autres envisagent la création de Jeux de Printemps pour les sports en salle.

Aucune décision radicale ne sera prise. Durant l’entre-deux-guerres, le cœur du programme olympique reste stable, mais le nombre de sports facultatifs s’emballe: Handball (à onze), le Basketball, le Vol à Voile et le Canoe, la Pelote Basque complètent la liste, tout comme le football et le tennis rétrogradés, eux, de la liste des sports obligatoires (notamment pour fait de professionnalisme).

Si un seul sport facultatif avait été sélectionné par Paris en 1924, Berlin en aligne cinq en 1936.

Les garde-fous du gigantisme

En 1952, Avery Brundage devient le cinquième président de l’institution olympique. C’est un partisan déclaré d’un programme olympique limité. Durant les 20 années à la tête du CIO, il tentera de lutter contre la course au gigantisme, avec plus ou moins de succès.

En 1958, tout change pour que rien ne change. Adieux sports obligatoires et facultatifs. Il n’existe plus qu’une seule liste de 20 sports olympiques (réduite à 19, une fois le water-polo assimilé aux autres sports aquatiques*), parmi lesquels les comités d’organisation devront choisir un minimum de 15 sports. Signe commun de ces 20 sports: ils doivent être largement pratiqués dans au moins 25 pays (ce seuil sera peu à peu augmenté pour atteindre 75 pays).

Quand le CIO savait encore dire non.

De nombreux sports n’atteignant pas ce seuil sont néanmoins reconnus comme olympiques par le CIO, mais sans apparaître au programme. On y retrouve d’anciennes gloires comme la Pelote Basque et de  jeunes premiers que l’on verra bientôt apparaître au programme olympique. De cette sorte de sas olympique naîtra au début des années 80 les Jeux Mondiaux regroupant les sports et disciplines reconnus mais non présents au programme des Jeux Olympiques.

Les Jeux continuent néanmoins à grandir. Le volleyball et le judo rejoignent la liste des sports olympiques à l’occasion des Jeux de Tokyo en 1964 qui atteignent ainsi un record de 163 épreuves. Le précédent datait de près d’un demi siècle et des jeux d’Anvers  (156).

Dans le même temps, le CIO reprend entièrement la main sur le programme olympique. Le choix des sports au programme est désormais entièrement de son fait. Les pays hôtes n’ont plus leur mot à dire si ce n’est sur les sports de démonstration. C’est un retour à la situation qui avait prévalut en 1896.

L’idée derrière cette reprise en main est aussi celle de la réduction du programme olympique ou du moins sa stabilisation. Thème cher au président Brundage.  A l’unanimité moins un vote, il est décidé de porter le nombre maximum de sports à 18 sur les 21 alors reconnus. Le judo, le handball, le tir à l’arc sont rayés du programme pour les Jeux 1968. Pourtant dès 1972, ces trois sports sont de retour au programme. L’ensemble des sports olympique est dés lors représenté, la limite des 18 sports a fait long feu.

Cette nouvelle donne permet néanmoins une véritable stabilité du programme olympique. De 1972 à 1980, aucune nouveau sport ou discipline n’est intégré, seules quelques épreuves supplémentaires de disciplines déjà olympiques viennent porter le total des titres à distribuer de 195 à 203.

Vers l’infini et au delà

1980 marque l’arrivée de Julian Antonio Samaranch à la tête de l’institution olympique. Sous le règne du Catalan, les dollars pleuvent, les limites cèdent. La commercialisation et le gigantisme sont embrassés. Les Modernes ont gagné.

A partir de 1984, les nouvelles disciplines et les nouveaux sports apparaissent à un rythme toujours plus élevé. La natation gagne des épreuves synchronisées; le tennis célèbre son retour; le baseball, le badminton, le triathlon, et la Taekwondo sont invités pour leur première. Les sports déjà olympiques s’enrichissent de nouvelles épreuves. Le programme explose. En 2000, les jeux comptent 28 sports et 40 disciplines contre 21 sports et 27 disciplines 20 ans auparavant. A Sydney, on dénombre 300 épreuves, soit 100 de plus qu’à Moscou.

Atlanta 96, symbole du gigantisme et de la commercialisation, jadis honnis

20 ans après l’arrivée de Samaranch, les Jeux sont méconnaissables. Ces 20 dernières années du XXe siècle auront sans doute plus marqué les Jeux Olympiques que les 80 précédentes.

Jacques Rogge qui prend la succession de Samaranch en 2001 semble vouloir mettre un frein à cette démesure. En 2002, un nombre maximum de sports (28), d’épreuves (301) et d’athlètes (10 500) est défini pour la première fois de l’histoire olympique. Si la croissance des Jeux est effectivement stoppée pour un temps, le CIO se retrouve acculée entre trois obligations contraires les unes aux autres:

  • La nécessité de conserver aux jeux une dimensions raisonnable
  • Le besoin de rénovation du programme et l’apport de nouveaux sports
  • La quasi sacralisation des épreuves historiques (comme l’a démontré les cris d’orfraie qui ont suivi l’exclusion momentanée de la lutte en 2013)

Jacques Rogge quitte ses fonctions cette même année 2013, remplacé par Thomas Bach qui pour tenter de résoudre cette équation impossible propose en 2014 dans le cadre de l’Agenda 2020 la possibilité pour les pays hôtes d’organiser des sports additionnels.

Cette proposition ressemble à un curieux mélange des sports facultatifs d’antan et des sports de démonstration. Les intérêts nationaux et la recherche d’universalité s’y perdent, sans que l’on sache bien ce qui l’emporte. S’il est encore trop tôt pour tirer un bilan de ces sports additionnels, une chose est sûre, avec les cinq sports additionnels choisis par Tokyo, les Jeux de 2020 établiront un nouveau record en matière de gigantisme avec 33 sports et 339 épreuves au programme.


*Depuis les années 60, le CIO différencie les sports de façon très particulière, assimilant le terme ‘sport’ à une fédération internationale. Ainsi, les 4 sports de la FINA (water polo, natation course, natation artistique,et plongeon) sont considérées comme de simples ‘disciplines’ et non des sports à part entière.

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