Droits TV : La paix des braves ?

Le 13 juin dernier, la Serie A a signé son nouveau contrat TV pour un montant de 973 M€ / an, soit à peine 4% de plus que le précédent. Les droits TV du foot européen sont-ils à leur seuil ?

Le Big Five et le reste

Avant tout allait bien. Les ressources des clubs de football étaient liées presque exclusivement au montant de leur recette billetterie. Les droits de diffusion audiovisuelle ne constituaient encore qu’un ‘dédommagement’ *contre la crainte d’une perte d’assistance dans les stades. Le succès économique d’un club ne dépendait pas du marché national dans lequel il évoluait, mais uniquement des capacités du club à générer des ressources localement. On se marrait bien, ça avait ses avantages. Le Steua Bucarest a gagné une Ligue des Champions ainsi, on ne connaissait par le nom des quarts de finaliste de la Coupe d’Europe avant le début de saison.

Et puis, et puis, les chaines privées à péage sont arrivées. Le sport (le foot en réalité) est devenu un produit d’appel pour ces chaines, un produit vecteur d’abonnement et donc valorisé. De plus en plus valorisé. Le montant des droits audiovisuels a explosé, dépendant essentiellement de la taille des marchés domestiques et créant un fossé entre les pays peuplés (et riches) et les autres

Comme y’à 25 ans, les droits du championnat belge valent aujourd’hui environ 15 fois moins que ceux de la Bundesliga, mais quand cet écart ne se traduisait que par quelques millions en plus pour les clubs allemands au milieu des années 90, aujourd’hui, un club allemand reçoit en moyenne 60 M€ de plus qu’un club belge pour ses droits domestiques. Ce qui était encore supportable il y’à 20 ou 25 ans lorsqu’on s’appelait Anderlecht ou Standard de Liège ne l’est plus aujourd’hui. La croissance des droits internationaux dont ne profite que les plus grandes ligues (1200 M€ pour la PL, contre 2.5 M€ pour la Jupiler League) n’a fait que empirer la situation.

He lives in a bubble ?

Soyons bref, non, il ne s’agit pas d’une bulle. Une bulle se forme lorsque un bien ou un service est acheté dans le but de le revendre plus cher, et/ou parce que le marché croit qu’il vaut mieux acheter trop cher maintenant que beaucoup trop cher par la suite. Ici, ce n’est pas le cas. Point de spéculateurs, mais des acteurs économiques qui achètent un produit (les droits audiovisuels), créent de la plus-value (la diffusion) et pensent en tirer un profit. Bref, le B.A.BA de l’économie…

La plus-value que cherche ces diffuseurs est déterminée par le nombre de clients potentiels et la somme que ces clients sont prêts à débourser pour s’abonner à ces services. Le montant de ces droits domestique répond à une équation simple en réalité: nombre de fans de foot * revenus par habitant. 

Hors, la croissance économique des pays européens est faible et leur démographie est apathique (quand elle n’est pas négative), et enfin le nombre de fans de foot, proportionnellement à la population, demeure stable (90% des fans de foot l’étaient déjà à 10 ans et 90% des fans de foot à 10 ans le sont encore à 50 ans), il est impensable que le résultat de ce petit calcul augmente encore beaucoup à l’avenir.

¿ Todo El Futbol ? 150€  125€  !

En Espagne, ne serait-ce que pour profiter de la Liga et de la Champion’s League, il faut débourser près de 100€ par mois . Dans un pays où le revenu médian par foyer reste relativement faible par rapport à ses voisins européens, il est assez facile de penser que le seuil auquel les fans de foot ne sont plus prêts à s’abonner a déjà été franchi (ou est très prêt de l’être).Si le président de la Liga espère une nouvelle revalorisation de ses droits à hauteur  1 300 millions, les opérateurs ibériques, eux, jugent une telle somme impossible à rentabiliser . Réponse dans quelques semaines.

Le mirage des droits internationaux

Ce que certains se refusent à comprendre, c’est que la valeur d’un sport, quel qu’il soit, ne tient pas à la qualité du jeu sur le terrain (nécessairement subjective et inqualifiable par ailleurs) , mais à l’émotion qu’il est susceptible de provoquer chez ceux qui veulent bien s’y intéresser.  Un match décisif de dernière journée entre deux équipes jouant la descente peut-être une purge insensée, il n’en créera pas pour autant des émotions chez les supporters des deux clubs qu’aucun autre spectacle n’est capable de procurer. C’est le supportérisme qui crée la valeur du sport professionnel, c’est lui qui commande le montant des droits TV.

Les droits TV internationaux ne répondent pas à cette logique. Il ne s’agit pas d’habitude d’un produit d’appel, mais d’un produit complémentaire à un produit premium. Un produit fournit clé en main (les images sont déjà produites) qui permet de nourrir les grilles et dont le prix d’achat ne représente généralement qu’une fraction du prix du championnat domestique. En France, Bein a récemment fait l’acquisition de l’exclusivité de la Liga pour 34 millions d’euros, soit environ 35 fois de moins que le montant des futurs droits de la Ligue 1. Ronaldo ou pas.

Horreur, des Troyens au Stade de l’Aube.

En dépits des efforts de la France d’en haut pour nous vendre un spectacle sportif globalisé et déraciné, il existe encore des habitants à Troyes pour qui Troyes-Caen au Stade de l’Aube vaudra tous les Chelsea-Manchester City du monde. Les visages de dégoût de certains à cette idée n’y feront rien.

L’exception anglaise

La Premier League est pourtant la seule ligue qui peut compter sur des marchés domestiques bis. A Hong-Kong, la PL jouit ainsi d’un contrat de 115 M€/an, soit environ le même prix que SFR débourse en France, alors que la région ne compte qu’un peu plus de 7 000 000 habitants.  Les Hongkongais dépensent presque autant par tête pour le championnat anglais que les Allemands ne le font pour leur propre championnat.

Non, nous ne sommes pas à Anfield

Ici, nous trouvons un rare exemple d’extraterritorialité de supportérisme. Les supporters de Liverpool made in Honk Kong le sont réellement et sont à minima prêt à prendre un abonnement télévisuel pour suivre leur club. C’est également le cas à Singapour, en Norvège ou en Suède. Mais c’est quelques exemples ne sont pas multipliables à l’infini et répondent à des conditions spécifiques comme en Norvège où des matchs de ce qui n’était pas encore la Premier League ont été diffusés dès la fin des années 60 sur la télévision publique.

Sans pouvoir s’appuyer sur de tels marchés, la Serie A a récemment vendu à la société IMG ses droits à l’étranger pour 371 M€ par saison. La croissance de certains marchés comme la Chine devrait pouvoir encore permettre d’augmenter un peu cette somme à l’avenir. Mais, il semble improbable que la Serie A (ou la Bundesliga, ou la Ligue 1) atteigne le milliard et des brouettes de la ligue anglaise ou même les 700 millions du classico de la Liga.

Grâce à la vitalité de son marché domestique, l’existence de marchés bis, sa prééminence sur plusieurs marchés étrangers, la Premier League devrait pouvoir conserver son avantage en matière de droits TV (autour de 3 milliard d’euros) quant ses concurrents devraient se contenter d’une manne comprise entre 1.5 et 2 milliards par saison. Une différence nette, mais sans doute insuffisante pour voir émerger une Super League européenne qui aurait pu être rendue nécessaire par un écart de revenu croissant entre la PL et le reste du football européen.

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