Maîtriser les délocalisations pour leur donner un avenir

Rejeton du rugby professionnel, les délocalisations sont en voie de disparition dans le Top 14. Elles ont pourtant un avenir à condition d’accepter de les maîtriser.

Une opportune nécessité

24 juillet 1998, la France émerge lentement de deux semaines d’ivresse bleue quand le rugby de club officialise son passage au professionnalisme en créant la Ligue Nationale de Rugby. Pas encore de Top 14 ou de Pro D2, mais des Groupes A1 et A2, pas encore de poule unique non plus. Pour la première saison sous l’égide de la nouvelle ligue, ils sont moins de 4 000 spectateurs de moyenne à se presser aux stades du Groupe A1, les favoris du Championnat s’appellent encore Bourgoin et Colomiers, mais aussi Stade Toulousain et Stade Français, qui pour la première fois de son histoire délocalise une rencontre au Parc des Princes.

A partir de la moitié des années 2000, le nombre de délocalisations par les clubs du Top 16/14 explose. Nées de l’opportunisme de Max Guazzini et de Jean-René Bouscatel, elles répondent à une double nécessité: celle de créer l’événement, de sortir le rugby français de son ornière et celle d’accueillir un plus grand nombre de spectateurs et dans de meilleures conditions.

Les clubs de Top 14 ont depuis surjoué leur partition, ont banalisé ce qui aurait du rester un événement. Ils ont démonétisé leur nouveau jouet. Dans le même temps, de nouveaux stades et les aménagements successifs des stades du Top 14 ont rendu moins prégnant le besoin de changer d’enceinte. La saison 2018-2019 devrait marquer un nouveau repli, puisque seulement deux clubs (L’UBB et Toulon) ont annoncé une délocalisation pour la saison à venir.

La surface médiatique du Top 14 n’a plus rien à voir avec celle du début des années 2000, la nécessité de faire parler de soi n’est plus la même et comme dans le même temps le retour financier des délocalisations est devenu nul, voir négatif… Qu’est ce que le Racing par exemple aurait a gagner à disputer une rencontre au Stade de France devant 40 ou 50 000 spectateurs qui ne dégagerait aucun profit ou presque et qui ne ferait pas la une de la presse ?

Redonner un nouveau sens

Pour que les délocalisations retrouvent du sens et un intérêt pour le rugby français, il faut songer – au delà de leur raréfaction en cours – à leur ritualisation, leur institutionnalisation. Ces – quelques – rencontres dans la saison doivent marquer un temps, un temps que l’on retrouvera chaque saison, et ne plus se laisser balader au petit bonheur la chance d’un calendrier que l’on n’ose maîtriser.

C’est ce que fait très bien la Premiership par exemple, dont la saison ouvre traditionnellement depuis la saison 2004-2005 par un double-header à Twickenham entre les équipes londoniennes. La saison est également marquée par le ‘Big Game’ des Harlequins à Twickenham durant les fêtes de Noël ou le ‘The Clash’ entre les rivaux de Bath et Leicester, là aussi dans le temple du rugby anglais. Ces rencontres se joue systématiquement devant au moins 50 000 spectateurs et contrairement aux anciennes délocalisations du rugby français, les places ne partent pas à 5 euros. Le raisonnement est le même pour la NFL et ses International Series qui ont même droit à leur propre logo.

Un nom, un logo, un événement.

Lorsque le match est terminé, l’événement ne disparaît pas avec. Quand « Stade Français – Stade Toulousain au Stade de France » meurt et ne signifie plus rien dès le coup de sifflet final; les ‘International Series’ ou le ‘London Double header’ perdurent et survivent la saison suivante, tout comme ‘Roland Garros’ ou ‘Wimbledon’ ne s’éteignent pas une fois la finale jouée.

En NRL (National Rugby League), le rythme du calendrier est parfaitement étudié. Plusieurs journées sont ainsi dédiées à des thèmes particuliers (femmes, rivalités, etc.), et de nombreux trophées (Ron Coote Cup,  Legends Cup, etc.) consacrent les duels de tels et tels clubs tout au long de la saison. La saison est structurée, rythmée au grè de ces événements qui reviennent chaque saison. Rien n’est laissé au hasard.

C’est ce vers quoi le Top 14 devrait tendre : institutionnaliser ses événements, leur trouver une date et un lieu et ne plus se laisser guider aux aléas d’un calendrier tiré au sort. La récurrence de ces journées chaque saison permettra également au club de ne pas avoir à repartir d’une feuille blanche chaque année. La communication autour de l’événement en l’an n portera également ses fruits en l’an n+1.

Le retour du Yves du Manoir

L’histoire du rugby français est assez riche pour que l’on puisse y puiser l’inspiration de ces événements d’un type nouveau. Quelques exemples off the top of my head:

  • Trophée Yves du Manoir entre le Stade Français et le Racing, joué au Stade de France, possiblement en ouverture de la saison.
  • La Journée du Muguet du RCT au Vélodrome pour marquer la fin de la saison autour du 1er mai.
  • Le ‘1909’ au Matmut Atlantique entre le Stade Bordelais et le Stade Toulousain pour célébrer la première finale entre deux clubs de province.
  • La ‘Revanche’ à l’occasion de la réception annuelle du Stade Français par Toulouse pour marquer la défaite inaugurale du Stade Toulousain en finale contre les Parisiens en 1903.
  • etc.

On peut également penser à l’instauration d’une Journée ‘on the road’ où chaque équipe délocaliserait une rencontre (La Rochelle à la Beaujoire; l’ASM à Geoffroy-Guichard; Le Racing ou le Stade Français à Lille, etc.), ou bien à la mise en place d’un Magic Week-end. Les possibilités sont infinies (et des experts en communication sauront trouver de bien meilleurs exemples que moi…) et n’ont pas à être nécessairement liées à une éventuelle délocalisation du reste, mais ce qui me parait certain c’est que les délocalisations n’ont un avenir dans le rugby français que si elles s’associent à ce genre d’événement.

Il est également important que ces journées soient assez rares et séparées entre-elles pour leur donner assez d’espace pour se développer et devenir des rendez-vous désirés et attendus. Le but final étant de faire de ces dates des événements auxquels les supporters aspirent, auxquels ils donnent une valeur en soit, une valeur supplémentaire au delà de l’intérêt sportif, comme c’est le cas depuis la nuit des temps pour la finale et – depuis qu’elles sont jouées sur un même stade – des demi-finales (qui est d’ailleurs un magnifique exemple d’une ‘évènementualisation’ réussie).

Il demeure un obstacle de poids, celui de faire comprendre aux présidents des clubs de Top 14 que l’intérêt de la Ligue est supérieur à la somme des intérêts à court terme de leurs propres clubs et que leur intérêt à moyen ou long terme passe par celui de la Ligue.  Le développement de la Ligue, de son identité, de ses moments forts est dans l’intérêt de tous.

Un Stade -Racing joué à guichets fermés chaque saison au Stade de France pour lancer la saison et devenu un rendez-vous majeur du sport français n’aura pas des répercussion positives que pour le Stade et le Racing, mais aussi pour l’ensemble des clubs du rugby professionnel français.

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