Économiquement, la Ligue 2 stagne, voire régresse depuis une dizaine d’années. Elle a aujourd’hui été dépassée par la Pro D2 et tout porte à croire que sa situation n’est pas prête de s’arranger. (les commentaires dans cet article seraient tout aussi valables pour une large part de la Ligue 1)
Le foot fait moins bien que le rugby
Chaque année, les budgets de la deuxième division de notre football professionnel sont annoncés à la hausse. Oui, mais non. Si l’on s’intéresse uniquement aux revenus générés par les clubs eux-mêmes (les recettes des matchs, celles du sponsoring et celles groupées dans les ‘autres produits’) et en mettant de côté les ressources issues des transferts ou des droits TVs – largement surévalué par le reversement d’une partie de ceux de la Ligue 1 -, le budget moyen en Ligue 2 stagne depuis 10 ans, voire régresse nettement par rapport à son plus haut : 4.8 M€ en 2019, contre 5.9 M€ 10 ans plus tôt, soit une baisse de 20%.
Ce graphique est particulièrement inquiétant et devrait être épinglé sur la porte de chaque dirigeant de la Ligue de Football Professionnel. Il résume leur échec et leur incapacité à développer l’économie réelle de nos clubs (comme dit plus haut, il n’est question ici que de Ligue 2, mais l’on pourrait dire la même chose de la plupart des clubs de Ligue 1).
La croissance des années 90 et 2000 semble désormais loin. On était alors passé d’un budget moyen hors droits TV et transferts de 2.2 M€ en 1997 à 5.9 M€ en 2009, le record.
Cette stagnation se lit également dans les affluences de la division, qui suivent – sans surprise – une courbe ressemblant largement à celle des budgets réels. La division a même perdu en moyenne 2 000 spectateurs depuis la saison 2009 qui constitue là aussi un record.
Mais il y a pire:
Toujours sans prendre en compte ni les transferts ni les droits audiovisuels, la Ligue 2 a été rattrapée, puis dépassée par son homologue du rugby:. Lors de la saison 2017-2018, le budget moyen en Pro D2 était de 5.61 M€ contre 4.77 M€ pour le football, une différence notable de près de 20%.
Cette situation n’est pas normale. Elle ne devrait pas exister. Rappelons ce qu’est le rugby. Un sport devenu professionnel il y a un peu plus de 20 ans et circonscrit pour l’essentiel de sa partie professionnelle à 1/3 du territoire national. C’est aussi un sport qui ne parlent pas à une large partie de la population pour laquelle le ballon ovale est encore étranger à ses habitudes. Quant au football, il demeure le sport national sans aucun doute possible. Pratiqué et suivi partout. C’est aussi et surtout un sport professionnel depuis 1932, 65 ans avant le rugby et qui a longtemps eu un quasi-monopole sur le spectacle sportif local.
Les clubs de Ligue 2 sont également issus de bassins de populations plus importants: durant la saison 2017-2018, la Pro D2 comptait 9 membres sur 16 évoluant dans une agglomération de moins de 100 000 habitants, contre 6 seulement pour le football sur 20 équipes.
Pour toutes ces raisons et toutes choses égales par ailleurs, un club de football professionnel devrait être capable de générer des revenus largement supérieurs à ceux d’un club de rugby professionnel. Et pourtant…
Bien sûr, on pourra arguer que la comparaison n’est pas tout à fait juste. On rapproche ici des équipes classées entre le 21e et 40e rang dans la hiérarchie nationale et d’autres classées entre la 15e et la 30e place. Certes, mais la Ligue 2 devrait tout de même faire nettement mieux.
Alors pourquoi l’un continue à se développer quand l’autre stagne, voire régresse ? (spoiler: ce n’est pas à cause de l’immaculé génie des dirigeants de la chose ovale)
It’s a Trap !
Avant le sport professionnel, il y a d’abord eu de jeunes gens regroupés au sein de clubs qui jouaient au ballon sous le regard incrédule de quelques passants. Puis ces passants sont devenus spectateurs, et même spectateurs payant. De l’argent est rentré dans les caisses des clubs. Une partie en a été reversée aux joueurs, d’abord de manière informelle, puis de manière officielle. Le sport professionnel était né, ses clubs professionnels avec. Charge à eux d’offrir un spectacle attrayant pour les spectateurs qui étaient alors leur seule source de revenus.
A ces premières recettes se sont ensuite ajoutées la publicité autour du terrain puis sur le maillot des joueurs et dans certains pays (comme le notre) la manne de l’argent public. Jusqu’aux années 80, l’économie du football professionnel ne reposait pour l’essentiel que sur ces deux (ou trois) piliers. Depuis deux nouvelles sources de financement – qui existaient déjà mais n’étaient encore que secondaires – sont devenues majoritaires: les droits TVs et le résultat des transfert de joueurs. A elles deux, elles représentent aujourd’hui 70% des revenus des clubs de Ligue 2, les spectateurs et les sponsors ne comptant plus pour qu’une part congrue des budgets de la division (20% en 2019).
Ces deux nouvelles ressources ont certes permis de stabiliser les finances des clubs professionnels et de faire croire que le football français n’allait pas trop mal. Mais comme nous l’avons vu, ces chiffres sont trompeurs et sont source de dangers pour l’activité économique future de nos clubs. Le poids de ces deux postes et leur part de plus en plus importante incitent ainsi les dirigeants à prioriser deux choses:
- D’abord l’équipe première afin de rester en Ligue 2 à tout prix pour continuer à toucher des droits TV. Un club en deuxième division gagne pour le moins bien doté 4 millions d’euros contre presque rien en National 1. En cas de descente, le manque à gagner est vertigineux pour n’importe quel club.
- Ensuite la formation qui à la fois aide l’équipe première dans son objectif de maintien et qui permet des reventes régulières et très largement valorisées. Ce poste a d’ailleurs plus que doublé ces 4 dernières années (105 M€ contre 48 M€ en 2016).
Le reste ? Quel reste…Pourquoi un club irait s’emmerder à développer une offre commerciale, construire un marché local, multiplierait les démarches pour séduire un public nouveau ou mettrait de l’argent pour construire ou améliorer son stade quand un bon transfert représente facilement l’équivalent de ses recettes billetterie ou sponsoring des 2 ou 3 prochaines années. Parfois plus. Durant l’hiver 2019, le Havre avait vendu à l’Olympique Lyonnais l’international tanzanien Tino Kadewere pour 15 millions d’euros, soit l’équivalent de 20 ans de recettes spectateurs pour le club doyen !
Le poids des droits TV et des revenus issus des transferts agissent ainsi comme une véritable trappe à sous-développement. Les clubs sont des agents économiques qui réagissent à leur intérêts perçus ou réels. Développer leur club, leur marché n’aura des répercussion positives que dans un temps éloigné et les gains resteront insignifiants par rapport au risque d’une relégation en National 1 ou ce que pourrait rapporter la vente d’une vedette en devenir.
Les clubs ne font et ne feront donc rien. Ils ne bossent pas. Pour ne prendre qu’un seul exemple: l’US Créteil-Lusitanos et sa douzaine de saisons en Ligue 2. Les dizaines de millions de droits TVs perçus au fil des saisons n’ont servi à rien si ce n’est à satisfaire le compte en banque des joueurs. Rien n’a été entrepris pour faire grandir le club, développer son image, aller chercher de nouveaux spectateurs ou pour faire de l’USC un club professionnel viable et pérenne. Le club est resté le même que celui qui avait rejoint la deuxième division en 1999. Cette saison, ils étaient moins de 800 spectateurs à se retrouver au Stade Dominique Duvauchelle pour les matchs de National 1 et les Cristoliens n’ont pas d’autre objectif aujourd’hui que de retrouver le providentiel monde professionnel pour de nouveau ne rien y faire.
La manne des droits TV et des mutations a été gâchée. Elle aurait pu être réinvestie pour faire grandir le football français, le rendre encore plus populaire, améliorer ses infrastructures, etc. Mais non, le court (le sportif) et le moyen (la formation) terme a décidé de tout. Le long terme a, lui, été totalement sacrifié.
Des clubs qui n’en sont plus tout à fait
Alors voilà la situation: on forme des joueurs en essayant de maintenir à tout prix l’équipe première en Ligue 2 afin de conserver une exposition maximale pour les recruteurs. En réalité, certains clubs pourraient presque jouer la saison entière à huis-clos, sans que cela ne change rien pour eux. Et si ce n’était pas pour les droits audiovisuels, on pourrait même finir par se demander quelle est l’utilité d’un si long championnat. Des tests physiques et une opposition sur terrain réduit seraient bien suffisant pour mettre en valeur le cheptel…
Aujourd’hui, ces clubs de Ligue 2, ne sont plus des clubs comme on l’entendait jusqu’à peu. Ce ne sont plus vraiment des entreprises en spectacle sportif s’efforçant d’attirer un public toujours plus nombreux. Ils ne cherchent plus à se développer mais simplement à demeurer et à conserver une exposition nécessaire au trading. Leur équipe première fait d’avantage office de show-room et de receptacle à droits TVs qu’à autre chose. Si quelques dirigeants peuvent parfois donner l’impression de vouloir initier un réel développement de leur club, leurs initiatives resteront nécessairement isolées tant les conditions économiques actuelles et futures interdisent qu’ils en fassent autrement. On ne peut pas en vouloir à ces dirigeants de poursuivre leurs intérêts propres.
La Ligue 2 et une bonne partie de la Ligue 1 sont entrés dans ce cercle vicieux, leurs économies reposent et continueront de reposer de moins en moins sur les revenus issus de leur activité club (billetterie et sponsoring) et seront toujours moins enclins à les développer. La crise que nous venons de vivre risque même de détourner encore plus le public des stades, renforçant encore la dépendance de ces clubs aux sources de financement externe. Ce qui guette à terme la France, c’est un football zombie qui ne se soucie plus de ses supporters ou de ses partenaires, mais uniquement de la revente de sa matière première. Une usine à footballeurs désincarnée, qui n’aura plus rien à raconter et qui n’intéressera bientôt plus grand monde.
Ce dont la Ligue 2, ce dont le football français a besoin, c’est d’une révolution. Le sportif, seul, ne peut plus commander les décisions des clubs. Il est temps – d’enfin – entamer le développement de notre football.
Bravo ! une vraie analyse d’un vrai pb !
J’ai démarré l’article en n’étant pas d’accord, puis je tombe en fait sur la même analyse que celle que je faisais (et que je fais aussi pour le foot) : « La séparation des deux mondes et la fermeture du championnat professionnel couplée à sa nécessaire extension ». Pour défendre la fédé, je pense que la Nationale est une réponse « de fait », en n’osant juste pas aller jusqu’à la fermeture.
Quel dommage qu’on en entende pas parler plus souvent ! Les avantages d’une ligue fermée, tout en maintenant des montées descentes. Donner des certitudes aux clubs, des habitudes aux spectateurs et aux TV.
On pourrait faire tout un article pour sélectionner les je dirais 44 clubs de rugby (14 – 16 – 14) et 54 clubs de football à sélectionner (3x 18), en particulier en utilisant les données de l’article sur les données géographiques 😉
J’ai démarré l’article en n’étant pas d’accord, puis je tombe en fait sur la même analyse que celle que je faisais (et que je fais aussi pour le foot) : « La séparation des deux mondes et la fermeture du championnat professionnel couplée à sa nécessaire extension ». Pour défendre la fédé, je pense que la Nationale est une réponse « de fait », en n’osant juste pas aller jusqu’à la fermeture.
Quel dommage qu’on en entende pas parler plus souvent ! Les avantages d’une ligue fermée, tout en maintenant des montées descentes. Donner des certitudes aux clubs, des habitudes aux spectateurs et aux TV.
On pourrait faire tout un article pour sélectionner les je dirais 44 clubs de rugby (14 – 16 – 14) et 54 clubs de football à sélectionner (3x 18), en particulier en utilisant les données de l’article sur les données géographiques 😉
Pardon, commentaire lié à l’article sur la Nationale de rugby…