Entre rugby à XV et à XIII, entre Aimé Giral et Gilbert Brutus, Perpignan est partagée aujourd’hui comme elle l’était déjà il y a cent ans entre l’USP et les Arlequins ou encore avant entre l’ASP et le SOP. A Perpignan, l’histoire du sport et de ses stades n’est pas simple.
La naissance du rugby à Perpignan
Le football-rugby apparaît à Perpignan en 1889 sous la forme de l’Union Sportive du Lycée, puis du Stade Roussillonnais, premier club civil de la ville. Ces pionniers s’effacent en 1902 devant l’Association Sportive Perpignanaise (ASP). A peine deux ans après sa création, l’ASP est sacrée champion du Languedoc en 1904 et conservera son titre sept années consécutivement. Le rugby est bel et bien lancé en Roussillon.
En 1908, l’ASP quitte le terrain du Champ de Mars et inaugure contre Lézignan le futur Stade Jean Laffon. Le stade situé sur la route de Thuir fait rapidement des jaloux parmi les clubs de la région. Pour la plupart, les terrains du coin sont fait de cailloux ou de boue quand le terrain des Catalans a déjà les traits d’un véritable stade avec ses barrières en bois et sa pelouse d’un vert éclatant.
Un tel luxe a un coût, les places deviennent payantes. 75 centimes pour une chaise, 25 pour ceux qui peuvent s’en priver. Les premières foules apparaissent aussi. 1 000 personnes s’étaient déjà retrouvées pour le match d’ouverture, ils sont le double deux semaines plus tard pour la venue de Béziers. En 1910, 5 000 spectateurs assistent route de Thuir à une demonstration (4-0) du FC Barcelone contre l’Olympique de Cette (Sète).
En 1909, l’ASP absorbe le Perpignan Sportif, club fondé quelques années plus tôt. Pourtant dès 1912 une scission intervient au sein de l’ASP et donne naissance au Stade Olympique Perpignanais (SOP) qui ne tarde pas à se doter de ses propres installations dans le quartier du Moyen Vernet.
De fusion en fusion
En dépit de la récente scission, l’AS Perpignan remporte ses premiers succès sur la scène nationale. Après une première demi-finale de championnat en 1913, le club est sacré champion de France l’année suivante en écartant Tarbes en finale. Interrompues par la Guerre, les activités de l’ASP reprennent une fois la paix revenue et suite à une fusion en 1919 avec les anciens sécessionnistes du SOP. C’est désormais l’Union Sportive Perpignanaise qui est chargée de représenter les intérêts du rugby catalan. Si le nouveau maillot de l’USP porte la couleur azur du SOP, le stade reste celui de l’ASP, route de Thuir. Un stade désormais muni de « tout le confort et où seront à l’aise et joueurs et spectateurs » et que l’on baptise en 1922 du nom de Jean Laffon, en hommage à l’ancien vice-président de l’ASP tombé au champ d’honneur en 1916.
ASP ou USP. Route de Thuir ou Jean Laffon. Le succès du rugby à Perpignan reste le même. Les Catalans remportent deux nouveaux titres en 1921 et 1925, et parviennent également deux fois en finale. Entre-temps, le rugby catalan avait vu en 1919 la naissance d’un nouveau club: les Arlequins de Perpignan qui pendant 25 ans proposeront à Jean Laffon ou sur leur Stade de Mailloles au pied du Serrat d’en Vaquer des derbies souvent rudes, toujours accrochés. En 1927, une rencontre entre « Quins » et USP se solde par un 0-0 et dix expulsés.
Cette farouche rivalité cède bientôt devant l’intérêt supérieur du sport catalan. En mai 1933 les deux sociétés fusionnent sous le nom de L’Union Spotive des Arlequins de Perpignan (USAP). La fusion ne se réalise qu’à la condition que certaines personnalités liés à l’USP et qui étaient défavorables à l’union des deux clubs soient évincées. Parmi ces personnalités un certain Marcel Laborde, ancien président du Perpignan Sportif et dont on reparlera.
Quoi qu’il en soit, pour l’heure c’est à Jean Laffon que continue de s’écrire l’histoire du rugby catalan. Une histoire qui reste fructueuse. L’USAP dispute bientôt trois nouvelles finales, deux perdues en 1935 et 1939, la dernière gagnée en 1938, à chaque fois contre Biarritz. Dans le même temps, Jean Laffon gagne de nouvelles tribunes, ce qui en fait un des stades du rugby français les plus impressionnants de l’entre-deux-guerres.
La revanche de Marcel Laborde
Membre fondateur de la Ligue Française de rugby à XIII, le XIII Catalan est fondé le 8 août 1934 autour de Marcel Laborde et de plusieurs réfractaires de la cause USP. Dès son origine, le XIII Catalan cherche à récupérer le Stade Jean Laffon et à porter un coup fatal à son rival usapiste. Les treizistes arriveront à leur fin en 1939, en entendant d’autres solutions sont envisagées.
Le club souhaite ainsi récupérer le stadium municipal de la ville, mais la ville s’y oppose. En toute urgence et en quelques jours à peine, le club opte pour un champ planté d’abricotiers au nord de la ville, presque à côté de l’ancien terrain du SOP.
Les dirigeants deviennent terrassiers. Des volontaires sont recrutés. Une maison est détruite même. Tout ce petit monde s’efforce jusqu’au bout du jour à préparer le terrain pour la réception des Anglais de Salford le 2 novembre 1934. Pour cette première sortie, les Perpignanais encaissent 52 points. Pas de quoi décourager les treizistes catalans qui peuvent déjà compter sur un public nombreux (52 000 francs de recette) malgré la modestie du Stade du Vernet (900 places en tribune). En 1936, le XIII Catalan remporte son premier Championnat de France.
Malgré l’investissement de tous, le terrain du XIII Catalan fait encore piètre figure par rapport à Jean Laffon que le club souhaite toujours récupérer. De procès en recours, de cargolade en course poursuite, l’USAP finit par quitter quitte Jean Laffon au terme de la saison 1938-1939. En réalité c’est un échange de stades auquel on assiste, l’USAP partant pour l’ancien terrain des Treize aux Vernet, et le XIII Catalan récupérant Jean Laffon dans le même temps. Un stade qui a d’ailleurs perdu une partie de ces tribunes populaires emportées par une tempête en 1938.
L’interdiction des Treize
C’est donc sur l’ancien stade des XIII que l’on retrouve l’USAP qui inaugure le 13 octobre 1940 son nouveau terrain en jouant face à une sélection catalane. Le stade est bientôt aménagé et baptisé du nom d’Aimé Giral, héros de la finale 1914, qui avait trouvé la mort durant la Grande Guerre comme Jean Laffon. Le club rapatrie également dans son nouveau stade le monument aux morts de Jean Laffon où était inscrit le nom d’Aimé Giral ainsi que 5 de ses coéquipiers.
Dans cette nouvelle enceinte, les Perpignanais continuent sur la lignée des années 30 en remportant un nouveau championnat en 1944 contre Bayonne. Un troisième suivra en 1955 contre Lourdes, et puis, subitement, la source des miracles catalans se tarira pendant 40 ans.
Si la guerre ne semble pas avoir d’effet sur l’USAP, il en est autrement chez les Treize. L’interdiction du rugby à XIII par le régime de Vichy impose au XIII Catalan un changement de nom qui devient le Racing Club Catalan. L’équipe est pourtant visiblement aussi douée à XV qu’elle ne l’était à XIII. Le RC Catalan atteint même la demie-finale du championnat en 1943. Le hasard des poules voudra que jamais les deux clubs catalans ne se rencontreront. Dommage, on aurait bien aimé savoir avec combien de joueurs un tel match se serait terminé.
Avec la Libération, l’intermédiaire quinziste prend fin. Le XIII Catalan retrouve son nom et ses couleurs. Le rugby à XIII vit d’ailleurs sans doute ses plus belles heures. Jean Laffon joue régulièrement à guichets fermés. Parmi les meilleures affluences que connaît l’enceinte, on peut notamment citer la réception de Marseille en janvier 1957 disputé devant 14 252 spectateurs. La Fédération s’intéresse également à l’enceinte. Jean Laffon accueille ainsi à cinq reprises la finale de la Coupe et deux fois celle du Championnat. La finale de la Coupe 1960 disputée entre Lézignan et Carcassonne atteint tous les records avec 15 800 supporters. L’équipe de France joue également à Jean Laffon une rencontre contre la Nouvelle-Zélande en 1961 devant 9 530 supporters.
Jean Laffon, devenu propriété municipale entre temps, marque également la cohabitation entre treizistes et footballeurs. Perpignan accueillera ainsi une équipe de haut niveau dans chacun des trois codes. En 1952, le Perpignan FC (ex Club Olympique Perpignanais) accède en deuxième division professionnelle et s’y maintiendra jusqu’en 1959.
La cohabitation des ballons rond et ovale prend fin au début des années 60. Les treizistes déménagent alors pour le Haut Vernet sur un stade d’athlétisme aménagé durant l’entre deux guerres et à qui on avait donné en 1944 le nom de Gilbert Brutus, ennemi intime de Marcel Laborde et pourfendeur du Treize dans les années 30. Engagé en résistance dès 1940, l’ancien rugbyman avait trouvé la mort dans les geôles de la Gestapo.
Jean Laffon revient ainsi aux seuls footballeurs qui après de multiples fusions y retrouveront la D2 en 1991. le doyen des stades de la ville connaît ses dernières belles chambrées, notamment à l’occasion des réceptions de l’OM en 1995 et 1996 qui attirent jusqu’à 9 000 supporters. Cette nouvelle – et dernière – aventure professionnelle se terminera en 1997 sur une liquidation judiciaire*.
Le Stade Gilbert Brutus
Au Haut Vernet, on s’active pour moderniser le nouveau temple treiziste de la capitale du Roussillon; une nouvelle tribune, l’actuelle tribune Bonzoms est notamment construite à cette occasion. Le nouveau Gilbert Brutus est inauguré le 11 mars 1962 à l’occasion d’un match international entre la France et la Grande Bretagne (victoire française 23-13). Maurice Herzog, Haut Commissaire aux Sports préside l’ouverture, les caméras de l’ORTF sont également présentes. L’événement est d’importance.
Le stade devient dès lors l’un des fiefs du XIII en France. De 1962 à 1975, 12 des 14 finales de la Coupe Lord Derby s’y disputent, souvent devant plus de 10 000 spectateurs avec une pointe à 16 250 supporters pour l’édition 1967 entre Lézignan et le XIII Catalan. Le XIII français adopte également le nouveau pré catalan. Depuis la rencontre inaugurale en 1962, ce sont plus d’une vingtaine de rencontres internationales qui se sont disputées à Gilbert Brutus, dont 6 comptant pour la Coupe du Monde.
Ces rencontres éveillent la passion des foules catalanes. Des passions parfois hors de contrôle. En 1970, à l’occasion d’un match de Coupe d’Europe entre la France et le Pays de Galles, certains spectateurs lancent des bouteilles sur les joueurs gallois et l’arbitre de la rencontre. L’un deux parvient même à frapper l’arbitre qui sera évacué inconscient au plus proche hôpital. Au terme de ce triste match, Gilbert Brutus sera privé pendant un an de toute compétition internationale.
Les Dragons Catalans
Comme ailleurs en France, le XIII à Perpignan semble s’assoupir dans ses habitudes. Seule la nouvelle rivalité avec les voisins de l’AS Saint-Estève réveille le club de sa torpeur. Gilbert Brutus, n’est plus la cathédrale treiziste d’autre fois et doit même fermer en 1998 pour raisons de sécurité (le temps pour le XIII Catalan d’un dernier séjour à Jean Laffon).
Quelque chose doit être fait si le rugby à XIII doit avoir un avenir en Rousillon. Ce quelque chose sera l’Union Treiziste Catalane née en 2000 de le fusion du XIII Catalan et de Saint-Estève.
Cette fusion trouve également écho de l’autre côté de la Manche ou l’on souhaite de nouveau ouvrir la Super League à une équipe française. En balance avec Toulouse, et Villeneuve-sur-Lot, la candidature catalane est retenue en 2003 pour prendre part au championnat 2006. Le club se scinde dès lors en deux, les Dragons Catalans représenteront ainsi les intérêts du XIII catalan outre-Manche, tandis que l’UTC continuera d’envoyer une équipe en LER au Stade Muncipal de Saint-Estève.
Pour leur première saison en Super League. Les Catalans passent en revue les différents stades de la région: Le Cannet, Narbonne, Carcassonne, et même Aimé-Giral. Envisagé depuis 2003, les travaux de mises aux normes et de rénovation de Gilbert Brutus débutent enfin. La Tribune Bozom est totalement reconstruite, la Tribune Guash modernisée, de nouvelles installations voient le jour (vestiaires, accueil, boutique), et de nouveaux sièges apparaissent en virage. Après une saison inaugurale hors de ses terres, les Dragons inaugurent le nouveau Gilbert Brutus le 7 février 2007.
Une véritable « renaissance » de ce ‘théâtre des plus beaux exploits du XIII en France » pour Nicolas Larrat, président de la fédération de rugby à XIII,
En 2011, une nouvelle tribune de 2500 places comprenant une grande loge panoramique, des bureaux, une boutique, un restaurant et une bodega complète l’ensemble et permet de porter la capacité du stade à un peu près de 10.000 places assises. A terme, la Tribune Guasch pourrait être à son tour rénovée et sa capacité portée à 5 000 places. L’enceinte des Dragons comprendrait alors 13 000 places assises, et serait une des plus accueillantes de Super League.
Un nouveau Aimé Giral
Alors que Gilbert Brutus s’apprête pour les joutes professionnelles, Aimé Giral suit le même chemin. En 1998, la mythique Tribune CGT – connue pour ses supporters les plus virulents d’Aimé-Giral – disparaît au profit d’une nouvelle structure moderne de 3 353 places. Ces travaux forcent cependant l’USAP à se délocaliser le temps d’une saison à Gilbert Brutus.
C’est d’ailleurs cette même année 1998, que l’USAP retrouve les sommets du rugby national en retrouvent – enfin – le chemin d’une finale, 21 ans après la précédente en 1971 perdue contre Béziers.
Seconde tribune à être démolie: la Tribune Xambo – du nom de Joseph Xambo, président de l’ASP en 1910 – s’efface en septembre 2001 pour permettre l’édification de la Tribune Fernand Vaquer (ancien joueur des années 20 puis entraîneur du club catalan et ses 2 200 places. L’ancienne Tribune Jules Chevalier (premier président de l’USP en 1919) disparaît à son tour en juin 2002. Reconstruite et inaugurée en décembre 2003, cette tribune possède 4 099 places assises et 17 loges.
Enfin, en mai 2006, débutent les travaux d’extension des deux tribunes latérales ainsi que la construction de la dernière tribune, la Tribune Goutta. Ses 2 200 places sont ouvertes au public en mai 2008. Ces derniers travaux permettent l’aménagement de plusieurs bureaux, de nouvelles salles de réunions, ainsi que de 23 loges (qui porteront leur nombre à 40 au total).
Désormais, l’USAP dispose d’une enceinte moderne et confortable pouvant accueillir jusqu’à 14 593 supporters, dont environ 13 000 assis. Lorsque le club tutoyait encore le plus haut niveau, son ancien président Paul Goze, souhaitait même porter la capacité d’Aimé Giral à 20 000 places (dont 18 000 assises). Un projet qui n’est plus aujourd’hui d’actualité.
Autre projet enterré, celui d’un stade de 20 000 commun aux deux équipes professionnelles de la ville. Sans doute aurait-ce été la meilleure chose à faire à la fin des années 90. Mais à Perpignan, en matière de sport et de stades, rien n’a jamais été simple.
*Aujourd’hui, le meilleur du football en Roussillon évolue au Canet sous le nom du Canet Roussillon Football Club.
J’avais raté votre article a sa publication.
Je me suis régalé !!
(Note à moi même : relire vos archives!)
Merci !
Il va falloir que je le reprenne. La bataille USAP/XIII pour Jean Laffon ca mérite au moins un paragraphe. (teaser: une course poursuite et des vannes)
Bonjour,
mon oncle Antoine Martinez, frère jumeau de ma mère, né le 8 mai 1926 était joueur de rugby à XIII à Perpignan. Auriez-vous des images ou des archives le mentionnant?
Merci d’avance, cordialement, Françoise
Bonjour,
je cherche une photo (ou des photos) de l’équipe du Stade Olympien Perpignanais SOP de la finale du 29 avril 1913 à Périgueux contre l’AS Française.
Mon grand père jouait dans l’équipe de l’ASF.
Merci d’avance.
Robin DEBOST