#BeltOfHope: un cri dans la nuit

Le 21 février 2019, le Comité d’Organisation de Paris 2024 révélait les 4 sports additionnels au programme des XXXIIIe Jeux Olympiques. Le breakdance, le skate, le surf et l’escalade étaient retenus. Pas le karaté. Près d’un an plus tard, l’incompréhension règne toujours.

Une ceinture d’un bien maigre espoir

La sélection parisienne avait fait trois soulagés (les trois sports retenus à Tokyo et qui le seront encore à Paris), un heureux (le breakdance), et une masse de mécontents (la quinzaine de sports candidats, mais non retenus). Parmi ces mécontents, l’un l’était sans doute un peu plus que les autres : le karaté.

Présent pour la première fois à Tokyo au titre de sport additional, le sport de combat pensait cocher toutes les cases possibles pour une nouvelle olympiade (base importante de licenciés, performance des athlètes français, coût réduit…). Le blog que vous lisez actuellement avait même fait du Karaté son 2ème sport favori pour être retenu par Paris 2024, lui donnant même 80% de chance d’être sélectionné…

Autant dire que la douche avait été particulièrement glaciale pour le karaté qui s’y voyait déjà. Le mot trahison était revenu, souvent. Un sentiment de colère et l’incompréhension de voir leur sport disparaître des radars olympiques avant même d’avoir eu l’occasion de faire la preuve de ses talents sur la scène olympique.

« Je n’y crois pas, je tombe de haut. Tout s’effondre. C’est comme si on m’avait annoncé un décès dans ma famille. J’ai 22 ans, faire les Jeux à Paris était mon rêve. Au-delà de moi, c’est une terrible nouvelle pour tous les karatékas français. On n’aura pas l’occasion de montrer la beauté de notre sport au monde. » Steven Da Costa, champion du monde 2018

Mi-mars, alors que le monde du sport semblait passer à autre chose, les uns travaillant en vue de 2024, les autres préparant leur dossier pour 2028, le karaté lançait avec l’aide du Groupe de Communication Publicis l’opération #BeltOfHope pour tenter de convaincre Paris 2024 de replacer le sport dans la famille olympique.

À l’occasion des Championnats d’Europe de Guadalajara, les athlètes français affichaient un kimono fermé par une ceinture arborant les cinq couleurs olympiques: la ceinture de l’espoir. La campagne était accompagnée d’une vidéo poignante mettant en scène les karatékas et l’encadrement de l’équipe de France et un mot d’ordre simple: « Faisons revenir le Comité d’Organisation des JO 2024 sur sa décision ».

La campagne n’a sans doute pas eu le retentissement espéré, et, malgré la tournée médiatique qui l’a accompagnée, n’a guère fait le buzz au delà des cercles déjà convaincus (la vidéo n’a pas dépassé les 10 000 vues sur Youtube par exempe). Sans surprise, le CIO décidait le 25 juin de valider la sélection des 4 sports additionnels du Comité d’Organisation parisien.

Actuellement, le mouvement #BeltOfHope est toujours en cours, mais a changé son fusil d’épaule. La ceinture de l’espoir à été distribuée à près de 1 000 parlementaires et membres d’autres institutions. Le but étant de tenir en éveil le monde politique sur la question. Avec une certaine réussite d’ailleurs, puisque la fédération a ainsi récupéré le soutient public d’au moins une vingtaine de membres de la vie politique française.

Tout cela est bien beau, mais ce n’est pas Didier Paris et ces quelques autres élus qui feront revenir le COJO et le CIO sur leur décision. De ça, le monde du karaté devrait en être convaincu désormais. Il ne s’agit sans doute plus d’être intégré au programme olympique parisien, mais de comprendre pourquoi il ne l’a pas été.

Une procédure incertaine et injuste

Rappelons d’abord que les sports additionnels sont une nouveauté dans le monde olympique. Cette procédure – issue de l’Agenda 2020 dont le but premier était la maîtrise des coûts des Jeux Olympiques – a sur le papier tout pour plaire: laisser l’opportunité aux comités organisation de profiter des installations et de la popularité d’un ou de plusieurs sports dans leur pays pour le ou les inclure au programme olympique. Un tournoi Olympique de Baseball à Tokyo ? Bien sûr, qui pourrait être contre ? Dans la réalité…

Le premier grand problème de cette nouveauté est l’incertitude qu’elle génère pour les sports concernés. On ne peut pas décemment demander à une vingtaine de sports de jouer leur vie tous les 4 ans. Les Jeux du Commonwealth, eux, peuvent sans doute se permettre une liste de sports facultatifs*. Pas les Jeux olympiques qui sont une chose bien trop importante. La plupart des sports olympiques vivent et meurent par les Jeux. On est un Sport olympique ou on ne l’est pas. Il n’y  pas d’entre-deux possible. Quelle lisibilité, quelle perspective de développement pour un sport qui serait olympique qu’une fois de temps en temps ?. Il faut que le CIO assume de nouveau la violence d’un processus qui tranche réellement et pour longtemps le statut ou non d’un sport olympique. Des sports à moitié olympiques ne sont pas une solution pérenne.

C’est aussi une procédure bien trop incertaine. Combien de sports seront retenus et sur quels critères ? Voilà deux questions essentielles auxquelles les sports candidats n’avaient pas réellement de réponse quand ils se sont lancés dans la course. Dans le cas parisien, les critères semblent même avoir été modifiés en cours de route. A quelques semaines de l’échéance, l’Equipe apprenait que la popularité locale de chaque sport ne serait plus un condition « prioritaire ». Une tel doute ne peut qu’encourager un sentiment d’injustice. Est-ce que la pétanque se serait lancée avec autant d’entrain dans la course pour 2024 si on lui avait dit dès le début que sa popularité en France ne lui serait de (presque) aucun secours ?

En réalité, et contrairement à ce qu’il s’était passé avec Tokyo, la question nationale ne semble avoir joué ici aucun rôle ou presque. Cette liste de sports additionnels aurait tout aussi bien pu être celle de Los Angeles ou de Melbourne. Il n’y a aune spécifié parisienne ou française. Si l’on veut donner un certain caractère national à chaque édition des Jeux en offrant au public mondial un aperçu des goûts du pays hôte en matière de sport. Cela a (avait) un nom: Sports de Demonstration. Ils avaient cours jusqu’en 1992. Le baseball à Tokyo c’est très bien, comme l’avaient été le rink hockey à Barcelone ou le baseball (déjà) à Séoul. Il n’y avait rien à réinventer.

Des Jeux jeunes et urbains

Oublier « plus vite, plus haut, plus fort »,  le réel mantra olympique désormais est « jeune et urbain », c’est lui qui commande l’avenir du mouvement olympique et a peut-être (sans doute ?) scellé le sort du karaté et des autres sports non retenus. Dans cette sélection parisienne, il est difficile d’ignorer le poids du CIO, quitte à se demander qui a proposé quoi à qui. Pour Francis Didier, président de la Fédération Français de Karaté, la réponse ne fait guère de doute. La décision venait bien de Suisse et Tony Estanguet n’aurait pas eu le « courage » de s’y opposer.

Le mouvement olympique a un problème démographique majeur: Les jeunes générations s’intéressent de moins en moins aux Jeux Olympiques. C’est pour tenter de les séduire que le CIO souhaite intégrer de nouvelles disciplines (et pourquoi on est sans doute pas prêt d’arrêter d’entendre parler de l’Esport aux Jeux). Le bien-fondé de cette stratégie peut s’entendre, son manque d’honnêteté est indéfendable.

Si le mouvement olympique, et son président Thomas Bach en particuliers, souhaitent à tout prix intégrer ces sports nouveaux « jeunes » et « urbains » au programme olympique parce qu’ils pensent que l’avenir des Jeux en dépend. Très bien. Par contre il faut avoir dans le même temps le courage d’assumer ses décisions et ses éventuelle conséquences. En ajoutant ces nouveaux sports au programme olympiques, le CIO fait face à deux alternatives:

  • Augmenter encore la taille des Jeux et prendre le risque qu’ils deviennent à terme trop chers et impossible à organiser.
  • Supprimer certains sports anciens pour faire de la place pour les nouveaux.

Pour l’heure ce courage, le CIO ne l’a pas et fait porter sur le dos des villes hôtes la responsabilité du choix de ces nouveaux sports. C’est une mascarade.

Le concept initial des sports additionnels est vicié, sa finalité a été détournée. L’incompréhension et la rancœur continueront de gagner ceux qui ne seront pas choisis. Le mouvement #BeltofHope n’arrivera sans doute pas à ses fins, mais il permettra peut-être de clarifier ce que sont les sports additionnels et sur quels critères ils sont choisis. S’il y arrive, ce ne sera pas la plus petite victoire du karaté français.


*La notion existait de sports facultatifs existaient jusqu’en 1958 dans le mouvement olympique

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