Avant que Paris 2024 ne finisse par décrocher la timbale olympique le 13 septembre dernier à Lima, la France a connue 5 échecs consécutifs dans la course aux Jeux Olympiques d’été. Retour sur ces candidatures manquées, à commencer par celle de Lille pour les Jeux Olympiques de 2004.
Un ticket européen pour apprendre
La genèse du projet remonte à 1992. Francis Ampe, nouveau patron de l’Agence de Développement et d’Urbanisme lilloise cherche les moyens de faire de Lille une métropole internationale. Plusieurs hypothèses sont étudiées, notamment celle d’accueillir les Jeux Olympiques. D’abord lancée comme une boutade, la suggestion finit par être prise au sérieux.
En plein européanisme triomphant de ce début des années 90, l’idée première est de présenter une candidature conjointe entre Lille et Bruxelles. Début 1993, Pierre Mauroy, l’emblématique maire de la cité nordiste, présente le principe de ce ticket européen devant 80 industriels belges réunis en colloque sans sa ville.
Cependant le CNOSF rejette cette approche jugée comme « incohérente « et « irréaliste » et contraire à la charte olympique. Même scepticisme de la part du comité belge (COIB) qui redoute de plus des « problèmes typiquement belgo-belges ». L’agenda 2021 est encore loin et le monde olympique considère encore qu’une ville seule doit organiser les Jeux.
Cette première ébauche échoue et Bruxelles se lance dans la course olympique seule fin 1993 (la candidature belge ne recevra pas le soutien politique attendu et sera mise de côté en 1995). Détail amusant: le président de l’exécutif flamand, Luc Van den Brande, devait annoncer, dès le lendemain de la déclaration de la capitale belge dans la course olympique, une possible candidature commune avec… Lille, qui n’avait jamais été évoquée jusque-là. Les »problèmes typiquement belgo-belges », donc.
Francis Ampe, désormais président de l’association Lille Europe Olympique 2004 (LEO 2004) et maître d’oeuvre du projet ne désarme pourtant pas: « Nous l’avons admis. Mais l’année de travail et de réflexion que nous avions menée n’a pas été perdue. Grâce à ce détour et au mouvement dialectique Lille-Bruxelles, nous avons découvert que nous étions capables de faire seul. »
TGV, Euralille, Grand Palais, la cité nordiste indéniablement bouge en cette fin de siècle. Pour les porteurs du projet, il s’agit de s’affirmer face à Paris, Bruxelles et Londres. « Soit Lille va devenir une simple banlieue de ces trois villes, soit elle va réussir à devenir la véritable métropole du Nord » résume Francis Ampe. Reste à convaincre la France de l’intérêt d’une candidature lillo-lilloise: « Au début, il a fallu rompre psychologiquement avec cette idée toute faite que seul Paris pouvait le faire. »
Pour accompagner Lille 2004, le Comité Grand Lille se forme en 2013 pour regrouper des personnalités issus du monde de l’industrie, de la culture ou de l’enseignement. Il se donne comme ambition de restaurer l’image de la métropole nordiste. La candidature olympique de la ville en est le parfait véhicule. Bruno Bonduelle en prend la tête
Capitale des Flandres contre capitale des Gaules
Déclaré officiellement en juin 1995, Lille est rejointe rapidement par Lyon qui déclare sa candidature suite à l’élection de son nouveau maire Raymond Barre. L’ancien édile Michel Noir jugeait en effet cette candidature – initialement porté par le président de la région Rhône-Alpes, Charles Millon – comme « grandguignolesque et en trompe l’oeil. ». Paris, un temps pressenti, préfère se réserver pour 2008 pour mieux échouer devant Pékin quatre ans plus tard. C’est donc entre Lille et Lyon que le CNOSF sera appelé à trancher pour porter la candidature française aux Jeux de la XXVIIIème Olympiade.
La candidature lyonnaise mise sur la « combinaison des réseaux de ville » de la région Rhône-Alpes. Coût du projet lyonnais; 11.5 milliards de francs, contre 8 pour Lille. 17 villes rhône-alpines sont retenues, notamment Saint-Etienne et Grenoble. Le nom officiel de la candidature porte d’ailleurs le nom de la région: Lyon-Rhône-Alpes 2004. Malgré une précipitation certaine, beaucoup pense que Lyon est favorite. On parle notamment d’un accord entre Jacques Chirac et l’ancien premier ministre pour s’assurer de la victoire de Lyon.
Le 7 novembre 1995, le CNOSF arrête son choix par 15 voix contre 12, la candidature nordiste est retenue. C’est notamment la qualité technique du dossier nordiste qui fait la différence. Le soutient populaire ,massif, a également joué son rôle. Pierre Mauroy est conscient de la tâche qui lui reste à accomplir: « Nous étions la candidature de la passion. Maintenant, il nous faut aller plus loin. Dans deux ans, il faut nous montrer un dossier en béton pour faire partie des cinq villes présélectionnées. Il ne faut pas que cette flamme s’éteigne »
Une candidature gadget
Le projet nordiste s’articule autour d’un « Arc Olympique », une courbe longue de 15 km reliant la majeure partie des sites situés à Tourcoing, Roubaix, Lille ou Villeneuve d’Ascq et qui doit accueillir les trois quarts des épreuves. Pont d’orgue de cet arc, le stade Olympique doit pouvoir accueillir 65 000 personnes lors des Jeux, puis 35 000 après coup. Le reste étant constitué d’unités de 5 000 places, réutilisables pour d’autres stades de la région après les Jeux (le Qatar n’a rien inventé).
Au delà de cet arc, c’est toute la région qui est mise à l’ouvrage. Beach volley à Dunkerque, aviron à Gravelines, voile à Boulogne, lutte à valencienne, boxe à Douai, etc.
Tout ou presque pour l’heure est cependant à l’état de dessin ou de maquette, ce que ne manque pas de pointer la commission dévaluation du CIO présidée par Thomas Bach qui en visite dans le Nord en septembre 1996 cite le manque d’infrastructures sportives et hôtelières ainsi que l’éparpillement de plusieurs sites.
Plus grave, beaucoup sont persuadés que Lille ne tient pas la route face à ces concurrentes. De très loin, la plus petite ville et la plus petite agglomération en lice, la Capitale des Flandres soufre d’un manque de notoriété criante par rapport à Rome, Buenos Aires ou le Cap. Out of my league en quelque sorte.
Pourtant, Lille continue de croire à ses chances, la ville s’enivre de sa propre candidature. Casquettes et sacs sont distribuées, une flamme est allumée Grand Place, une horloge égrène les secondes, le symbole de la candidature s’affiche partout. 84% des Français supportent la candidature, 1 million de bulletins de soutien sont même déposés partout dans l’hexagone. Marie José Pérec est propulsée tête d’affiche du projet. L’Etat assure de sa participation et Alain Delon prête même sa voix à un clip de candidature. Un CD-Rom est édité pour convaincre des mérites de la candidature.
Le ministre de sports, Guy Drut, et qui avouera avoir initialement pris la candidature lilloise comme une « candidature Gadget », finit même par adouber entièrement le projet.
En route vers Lausanne
Au début de l’années 1997, ce sont ainsi 11 villes représentant 4 continents qui sont candidates aux Jeux Olympique de 2004: Athènes, Rome, Le Cap, Stockholm, Buenos Aires, Rio de Janeiro, San Juan, Istanbul, Saint-Pétersbourg, Séville, et, donc, Lille. C’est encore à ce jour un record. Devant le nombre de candidats, le CIO décide un processus de sélection en deux temps; 4 ou 5 villes seront d’abord présélectionnes en mars à Lausanne, puis la cité hôte sera choisie en septembre.
A l’heure de cette pré-sélection, Lille 2004 débarque en force en suisse, notamment accompagné du million de bulletins signés par les Français et apportés par bateau . Portant peu croient encore aux chances lilloises, Antenne 2 n’y consacre seulement qu’un court reportage relégué à la fin du journal télévisé.
Finalement, le 7 mars 1997, le CIO choisit d’écarter Lille au profit de Rome, Le Cap, Athènes, Buenos Aires et Stockholm. « Sans surprise » titre sèchement l’Equipe, pourtant selon une indiscrétion relevée par Libération, le dernier strapontin se serait joué à la dernière minute entre la capitale suédoise et la cité nordiste.
Pour Guy Drut, Lille « n’a pas à rougir », elle s’est « presque élevé au rang des capitales concurentes ». Oui, presque. Certains sont moins magnanimes, Henri Serandour, président du CNOSF, dit « avoir honte pour le mouvement olympique », pour un autre membre de la délégation française: « Le CIO s’est visiblement refusé à effectuer le virage vers des Jeux plus modestes et plus humains. C’est encore l’argent et la politique qui a guidé ses choix ».
Lille a déjà gagné
« Lille a déjà gagné », c’est ce que certains criaient la veille du vote de Lausanne. Une mission de relation publique en somme pour un coût de 80 MF et qui allait notamment donner naissance à Lille 2004: Capitale Européenne de la Culture. Une opération dont sans doute personne – si ce n’est Francis Ampe, son iniateur – n’a jamais réellement cru la victoire possible.
Le Comité du Grand Lille voulait transformer l’image de la ville. En dépit de l’échec olympique, ce défi-là aura été assuré. « Il faut savoir rêver très haut » publie La Voix du Nord le lendemain du vote de Lausanne.