Le 31 décembre 1933, la rencontre entre l’Angleterre et l’Australie au Stade Pershing marque les débuts du rugby à XIII en France. En mars, Jean Galia et ses boys s’envolent pour l’Angleterre où ils disputent leur tournée inaugurale. Il reste maintenant au rugby à XIII à réellement s’établir en France. Tout est à construire: une fédération, des clubs, un championnat et avant tout autre chose: des terrains.
Buffalo est treiziste.
Les Galia Boys sont à peine rentrés de leur tournée en Angleterre que la Ligue Française de Rugby à XIII dépose ses statuts le 6 avril 1934. Son premier président est un breton, député-maire de son état, François Cadoret. Un bureau est formé, son secrétaire général s’appelle Charles Bernat, ancien directeur du Stade Buffalo situé à Montrouge; son trésorier se nomme Louis Delblat, actuel directeur de l’enceinte parisienne.
Les deux hommes sont liés à Victor Breyer, journaliste et responsable du match du 31 décembre. Ainsi c’est sans surprise que le premier match d’une sélection française sur le territoire national est prévu au vélodrome Buffalo. Le 15 avril, la nouvelle sélection tricolore y est défaite 20-32 devant 20 000 spectateurs.
La recette est de 167 000 francs. C’est un succès indéniable d’autant plus qu’un contrat d’exclusivité est établi avec la direction du vélodrome. Durant 7 ans, toutes les rencontres internationales ou finales jouées par la Ligue dans la Capitale se tiendront à Buffalo. En contrepartie, la Ligue promet une somme équivalente à 10% des recettes. Pour le jeune mouvement treiziste, l’assurance de pouvoir disposer d’un des plus beaux stades de la capitale est une aubaine incroyable. On verra que ce ne sera pas forcément le cas.
En dépit de ce premier succès, les effectifs treizistes sont encore faméliques: un stade donc, une sélection nationale et deux équipes parisiennes amateurs qui se sont jouées en ouverture du France-Angleterre à Buffalo (le Stade Olympique de Paris crée fin janvier et une équipe du quartier étudiant). Du reste, en avril 1934, on a encore vu ce néo rugby être joué uniquement dans la capitale. Il est temps d’aller diffuser la bonne parole ailleurs en France.
Premiers pas en Province
Pour mener à bien sa mission, la Ligue obtient de sa consœur anglaise, la Rugby Football League (RFL), une tournée pour le mois de mai d’une sélection du Yorkshire (en réalité l’équipe de Leeds améliorée de deux joueurs de York) qui viendrait affronter une nouvelle fois Jean Galia et ses boys. 5 dates sont prévues dans 5 villes différentes.
La tournée des Anglais débute le 1er mai dans la banlieue de Lyon, à Villeurbanne. Maurice Tardy, futur président de la fédération à la fin des années 60 et pour l’heure simple représentant en roulements à billes, s’est démené pour faire de Villeurbanne une ville treiziste. Il a ainsi offert à la Ligue une garantie financière de 30 000 francs (une somme qu’il n’a pas) et a réussi à convaincre la municipalité de Villeurbanne de lui procurer un contrat d’exclusivité pour cinq ans sur le nouveau stade municipal de la ville, faisant de fait du stade de l’agglomération lyonnaise la deuxième enceinte treiziste de France et la première hors de Paris.
Le coup de bluff de Maurice Tardy aurait pu tourner au désastre. Au matin du match, il pleut des cordes, et une grève des tramways est annoncée. Miraculeusement, la pluie s’arrête sur les coups de midi et la grève est différée. La recette est de 57 000 Francs pour 7 000 spectateurs environ. Maurice Tardy pourra rembourser la garantie qu’il avait promise à la Ligue.
Après un aller-retour à Buffalo, la tournée reprend sa route en Province, à Villeneuve sur Lot. 8 000 spectateurs assistent à la venue de Yorkshire alors que le ville compte à peine 12 000 habitants! La recette au Stade du Pont de Marot est également record: 66 000 Francs. On avait jamais vu une telle foule ni une telle recette dans la sous préfecture du Lot-et-Garonne.
La tournée prend ensuite la route de Bordeaux. La halte girondine au Parc Suzon situé à Talence marque un nouveau succès avec 12 000 spectateurs et une recette de plus de 100 000 francs. Ce stade d’environ 15 000 places est ce qu’il se fait de mieux à Bordeaux ou ses environs (le Parc Lescure étant encore en reconstruction). Suzon treiziste, c’est un coup majeur pour la Ligue.
Enfin, la tournée du Yorkshire se termine à Pau. Pas question du Stade de la Croix du Prince, propriété de la Section Paloise, ici. Le match se déroule sur terrain bien plus modeste: le Stade Bourbaki, propriété d’un patronage catholique. Les quelques aménagements de fortune réalisés les jours précédant le match ne suffisent pas à endiguer la foule de curieux.
Au plan sportif, la tournée se conclue sur 5 défaites en 5 matchs pour les couleurs françaises. Mais l’essentiel nest pas là. Partout, le succès populaire a été là et ces 4 villes de provinces et leur terrains respectifs sont les premières à tomber dans l’escarcelle treiziste. Elle a également montré à ceux qui hésitaient encore que le rugby à XIII pouvait avoir un avenir en France.
Le grand méchant loup
Article 65 des règlements de la Fédération Française de Rugby:
« Tout terrain sur lequel sera disputé un match de rugby professionnel pourra être interdit par la Fédération Française de Rugby »
Devant la percée treiziste, la réaction de la Fédération Française de Rugby ne tarde pas. Dès le 5 janvier, alors qu’aucun équipe française n’avait encore disputé le moindre match de rugby à XIII en France (ou de « rugby professionnel »), elle avait décidé de radier le terrain de Pershing. Après la première à Buffalo, elle avait fait de même avec l’enceinte parisienne, puis le 5 juin c’est au tour des 4 autres terrains de la tournée en Province.
L’objectif est simple, en faisant courir le risque à ceux qui souhaiteraient autoriser des matchs treizistes sur leur terrain de ne plus jamais recevoir de rencontres de rugby à XV, la fédération pense pouvoir assécher le mouvement qu’elle juge dissident. Sans terrains, pas de clubs. Sans clubs, pas de développement possible.
Si la plupart des commentateurs comprennent assez que la Fédération chercher à protéger ses intérêts, l’interdiction posée sur des terrains municipaux, notamment celui de Villeurbanne interpelle néanmoins: « De quel droit une fédération peut-elles jeter l’interdit sur un stade municipal en principe ouvert à tous les athlètes de la localité ? »
La FFR souhaite également étendre ces sanctions à d’autres fédérations. En vertu d’un accord signé en 1931 (1) avec cinq autre grandes fédérations dites affinitaires (Aviron, Natation, Tennis, Athlétisme et surtout Football) elle obtient que les sanctions qu’elle pourraient avoir à donner contre des clubs, athlètes ou terrains soient étendus également à ces fédérations.
Que l’on interdise aux rameurs français d’organiser des régates sur la pelouse du stade de Villeneuve passe encore, mais la question de l’extension pose un cas de conscience pour la Fédération Française de Football (FFFA). Trois clubs important sont ainsi privés de terrain, l’AS Villeurbanne (Stade Municipal), le Club Français (Buffalo) et le Deportivo Bordeaux (Parc Suzon).
Assez vite, le carcan se desserre néanmoins, notamment devant la colère des ligues régionales qui ne comprennent pas bien pourquoi la FFFA, qui vient d’autoriser le professionnalisme en son sein (1933), se met à lancer des interdits contre le professionnalisme des autres… Dès le mois de juin, les interdictions sont levées une première fois; puis en avril 1935, la FFFA annonce à la FFR qu’elle n’appliquera plus les interdits que pour les « grands matchs » internationaux et de Coupe de France et uniquement si le stade appartient à un club (et non plus à une municipalité ou une société privée). Dans les faits, cela revient à presque entièrement déserter le front et laisser seule la FFR mener le (son) combat.
Rubicon, mon beau Rubicon
Le 4 mai 1934, la Ligue Français de Rugby à XIII confirme les contours de son futur championnat national qui doit débuter à la rentrée prochaine: Pas plus de 15 clubs, 1 seule équipe par ville, sauf éventuellement à Paris et à Lyon. Pour les clubs amateurs; des championnats régionaux et une Coupe de France pour l’ensemble des équipes.
Joli programme, mais ce 4 mai, de « clubs pros », la Ligue n’en compte encore aucun. Elle trouve le premier sur les bords du Lot. Fin mai, le Sport Athlétique Villeneuvois devient le premier club pro à adhérer à la Ligue. Dans cette ville, où a joué Jean Galia jusqu’à sa radiation par la FFR et où on trouve plus d’anciens joueurs et de dirigeants radiés que d’habitants (ou presque), le terreau est fertile. Georges Bordeneuve, maire de la cité et ancien président – radié bien sûr – du CA Villeneuvois est à la base de ce nouveau club. Il aura ces mots à l’heure de passer le Rubicon « qui m’aime me suive ». Avec un maire comme président d’honneur, certaines choses en sont simplifiées. Le nouveau club récupère les anciennes installations du CAV au Pont de Marot.
Après Villeneuve suit Albi qui voit la création du Racing Club Albigeois grâce à l’action de Maurice Metgé. Un radié encore, mais cette fois-ci de l’athlétisme, qui l’avait été après avoir convié le « professionnel » Jules Ladoumègue à courir à Maurice Rigaud fin novembre 1933. Metgé était également en contact avec Jean Galia depuis le début d’année 1934. Le Sporting Club Albigeois restant fidèle au rugby orthodoxe, ses installation de Maurice Rigaud avec. Le Racing fera bâtir son propre stade sur un terrain aux abords de la ville situé rue des chalets, à qui l’on donnera le nom d’Emile Lagrèze, charpentier et principal maître d’oeuvre de l’enceinte.
Surprise. A Bordeaux, les dirigeants du Stade Athlétique Bordelais qui ont participé à l’organisation du match de propagande contre le Yorkshire au Parc Suzon sont radiés par la FFR. La belle affaire, ces nouveaux exclus se regroupent pour former le Bordeaux XIII qui vote son adhésion de principe à la Ligue début juin, tandis que le Stade Athlétique Bordelais vote son maintien au sein de la FFR (96 voix contre 63,) . On retrouve à la tête du nouveau club Jules Loze, qui est à la fois l’ancien président du SAB et le directeur en titre de la société civile du Parc Suzon.
Dans le Lyonnais, Maurice Tardy cède le contrat d’exclusivité du Stade Municipal de Villeurbanne à Joseph Pansera, entrepreneur en maçonnerie, et occasionnellement organisateur de combats boxe ou de courses de Speedway. Celui qu’on retrouvera assassiné en 1938 fonde en juin le premier club de la région: l’US Lyon-Villeurbanne,
Le 9 août, Côte Basque XIII rejoint la petite troupe, mais n’a pour l’heure aucune idée de là où il va combattre. Se voyant refusé terrain après terrain par les municipalités de Biarritz et de Bayonne, le club basque vivra une existence précaire, balloté entre les grounds de Pau et de Bordeaux jusqu’à l’ouverture le 20 janvier 1935 de son propre stade situé au quartier Saint-Jean d’Anglet et pouvant accueillir environ 10 000 personnes. L’enceinte sera construit en un mois à peine avec l’aide notable de la ville d’Anglet.
Dans le Béarn, Pau XIII est crée le 25 août 1934 à initiative de François Recaborde, un de ces innombrables radiés pour l’exemple par la FFR qui font et feront le miel du néo rugby. Le club se charge d’aménager le Stade Bourbaki où s’était disputée le match contre le Yorkshire, il y fait notamment construire une tribune d’honneur de 2 000 places. Le Stade ne sera réellement terminé que le 25 décembre pour la réception de Villeneuve en championnat.
Toujours à la fin du mois d’août, Le Racing Club de Roanne XIII est fondé sous l’impulsion de l’industriel local Claude Devernois. L’influence de François Cadoret persuade la mairie de céder le Parc des Sports municipal au nouveau club. Le premier match en terres roannaise se déroulera le 9 septembre au Parc des Sports.
Aquitaine, Lyonnais, Midi et désormais Roussillon avec la prise de Perpignan en plein été 34. Dans cette ville, traditionnellement séparée en deux fractions rivales, le calme qui régnait depuis la naissance l’année passé de l’USAP de la fusion des Quins et de l’USP ne pouvait durer. Quelques déçus ou réfractaires de la fusion groupés autour de Marcel Laborde et de l’AS Perpignanaise votent leur passage à XIII le 8 août 1934 sous le nom du XIII Catalan.
Le club souhaite d’abord s’accaparer le stadium municipal de la ville, mais la ville s’y oppose. En toute urgence, le club se rabat sur un champ planté d’abricotiers au nord de la ville dans le quartier du Vernet. Les dirigeants deviennent contremaîtres, des volontaires sont recrutés et s’efforcent jusqu’au bout du jour à préparer le terrain. Une maison est démolie même. C’est juste, mais Perpignan sera prêt. Le 2 novembre 1934, à l’occasion de la réception de Salford, les Catalans découvrent leur nouvelle passion. La recette du match contre le club anglais est énorme (52 000 francs) malgré la taille modeste de l’enceinte (900 places en tribune seulement).
Non loin de Perpignan, Béziers se met également à la nouvelle mode sous le patronage du Stade Olympien Biterrois. Le club évoluera au Stade Bessou situé avenue Clemenceau. Une enceinte trop petite et trop mal aménagée sans doute. Le SOB sera le seul club à disparaître avant le terme du championnat. Pour remédier à ce problème de terrains inadaptés, la Ligue avait même considéré un temps construire des tribunes portatives qu’elle aurait déménagées à travers la France
Enfin, dans le Dauphiné, le Rugby Treize Grenoblois (ou Treize Dauphinois), formé début août sur les cendres du Racing Club Murois – radié par la FFR – lui, ne débutera même pas la nouvelle compétition. Il échoue également par manque de terrain, mais aussi de joueurs (le club n’avait aligné que 6 ou 7 joueurs pour sa seule tentative de sortie durant l’été).
Naissance d’un championnat
Fin août, la Ligue organise son assemblée générale. Les derniers détails du championnat dit professionnel sont arrêtés. Douze clubs doivent y participer. Les 10 clubs de Province déjà cités ainsi que deux teams parisiennes: le Sport Olympique de Paris et le Celtic de Paris. Seule grande ville absente de ce panorama: Toulouse, et ce malgré les multiples efforts de Jean Galia pour y implanter la discipline.
A Paris, les deux futures équipes de la Capitale pensent à priori pouvoir profiter du Stade Buffalo pour lancer leur saison respective. Il n’en sera rien. Le Stade Français rappelle à la direction de l’enceinte que celle-ci avait précédemment signé un contrat d’exclusivité avec la direction du stade et qu’elle doit d’abord consulter le club avant de céder le stade à quiconque. Ce rappel de la dernière heure ferme de fait les portes du vélodrome au néo-rugby. La situation est également bloquée du côté de Pershing.
Dans le même temps, la presse s’étonne du silence qui entoure les deux clubs parisiens qui doivent débuter le championnat (2). La première journée du championnat prévue le 7 octobre se déroule sans club parisien. Trois jours plus tard, on apprend dans la presse que le SO Paris n’est plus, remplacé par Paris XIII (ou Paris Rugby XIII) qui prend sa place dans le championnat. La nouvelle équipe parisienne prend la direction de la la Courneuve. Pour sa première sortie le 21 octobre, 4 000 à 6 000 spectateurs y assistent à la réception de Salford alors que 48 heures avant on ne savait pas encore où le match se disputerait. Le club déménagera par la suite à la Cipale.
A l’automne 1934 tout n’est pas encore réglé. Deux clubs n’ont pas pris le départ du championnat, plusieurs terrains ne sont pas encore terminés. Paris ne jouera son premier match à domicile que le 9 décembre et Côte Basque XIII ne s’installera sur ses terres qu’au début de l’année 1935. Tant pis, le championnat est lancé, la guerre des terrains a été gagnée. Le rugby à XIII français est né.
« La question des terrains est maintenant résolue partout. L’interdit n’aura été qu’un discrédit plus dommageable en définitive à la Ligue d’Association [FFFA] et à la Fédération [FFR] qu’à nous-mêmes » Marcel Laborde, octobre 1934.
Note (1): Selon Robert Fassolette, cet accord qu’il nome « pacte affinitaire » aurait été signé en 1934 pour contrer le rugby à XIII. C’est faux ou en tout cas, un raccourci. L’accord signé entre les 5 fédérations date en effet de 1931 (le tennis s’y est par la suite ajouté) et prévoyait déjà l’extension des sanctions. En 1934, la FFR obtient l’automatisation de l’extension des sanctions sans autre forme de procès. Ce qui d’ailleurs est prouvé par le cas de Maurice Metgé, suspendu par la FFA en 1933 et par extension par la FFR.
Note (2): Le Celtic de Paris semble avoir été mis en sommeil l’espace d’une saison. Il réapparaîtra lors du championnat 1935-1936
Source (1) : Rugby à XIII, Le Plus Français du Monde, Louis Bonnery
Source (2) : The Forbidden Game, Mike Rylance
Source (3) : Rugby Champagne, Henri Garcia
Source (4) : Gallica, retronews…
Vraiment superbe cet article! Bravo !
J’avais essayé, sans succès, de comprendre ce qui liait François Cadoret (certes ancien rugbyman du SNUC) à Breyer, Bernat & co, pour qu’il accepte de prendre la présidence de la Ligue. Auriez vous une idée ?
Par ailleurs, il y a sur mon hébergeur de photos Flickr (vous avez le lien?) un bon paquet de photos sur le 13 Francais période 1934-40. Servez vous si besoin !
Pas vraiment, il était président d’un club à Puteaux (AC) et avait fondé une section boxe (selon l’Auto), peut-être une piste ?
Pour les photos, je vais regarder ça avec gourmandise (à la base cet article devait être une présentation – imagée – des 10 premiers stades de la Ligue. Il en manque ^^)
Il y avait sous jacente déjà la guerre des journaux entre l’Auto et L’Echo des Sports et celle des installations sportives à caractère privé.
L’Auto soutenant le XV et EDS le XIII avec son directeur Breyer
Une partie de l’explication bien incomplète
Merci de votre commentaire Mr Bonnery, pour ceux qui en voudraient savoir plus et avoir une vision plus complète, on ne peut que les rédiger vers votre livre en effet.
Je pense qu’un réédition serait apprécie d’ailleurs 🙂