La Pelote Basque à Paris (1895-1914)

Durant la Belle Epoque et pendant une vingtaine d’années, la pelote basque a tenté de s’introduire auprès du public parisien. En vain.

La pelote du Champ de Mars

Si l’on veut bien ignorer une première expérience en 1862 où un groupe de pelotaris bayonnais a été appelé à Paris pour introduire le jeu dans la salle du jeu de paume des Tuileries tout juste construite pour le bon plaisir de l’Empereur Napoléon III, les véritables débuts de la pelote parisienne nous ramènent aux dernières années du XIXe siècle.

En octobre 1893, deux « industriels » Mr Berriatua (ou Berritua) et Mr Barcena obtiennent la permission d’établir un « jeu de paume à la façon espagnole » dans l’une des galeries du Palais des Arts Libéraux (Galerie Desaix). Construit sur le Champ de Mars pour l’Exposition Universelle de 1889, ce palais sera détruit peu après en 1897. L’ouverture est prévue pour janvier 1894 au plus tard. Elle se fera attendre pendant près de 18 mois.

Si l’on ne connait rien de ces deux pionniers de la pelote à Paris, ni leur nationalité, ni leurs intentions. On peut penser qu’ils avaient été incités par l’exemple de Madrid où la pelote récemment importée s’y était rapidement fait un nom.

Le 18 mai 1895, la cancha parisienne est enfin prête à accueillir ses premiers pelotaris. Un règlement affiché à l’entrée du stand attire l’attention des visiteurs sur les spécifiés du jeu. La date a visiblement été marquée d’une pierre blanche par les mondains et mondaines du Tout-Paris. Dans les loges de la galerie, on ne compte plus le les comtes, vicomtes, et autres marquis. De toute évidence, on s’était donnée rendez-vous à la découverte de cette nouvelle excentricité venue du Midi.

La presse n’est pas en reste et ouvre largement ses colonnes sport à la nouveauté du printemps. On se plait aussi à rappeler la parenté évidente avec le jeu de paume, quand, parfois, on ne confond pas simplement les deux jeux. Certains se félicitent également de voir à Paris un nouveau sport qui pour une fois n’est pas un produit d’importation britannique.

L’engouement n’est pas réservé aux journaux et à la bonne société. De nombreux jeunes gens semblent conquis également et souhaitent s’y essayer à leur tour. La Galerie s’ouvre ainsi aux amateurs tous les jours dès 7 heures du matin, tandis que les sessions de l’après midi sont encore consacrées aux parties officielles. Les Jeudis et dimanches sont réservés aux joueurs les plus célèbres.

Fin juin, tout est pourtant terminé. La pelote doit céder « momentanément » la place à une sorte d’attraction sur le monde de la glace. La faune parisienne est passée à autre chose. A la rentrée tout le monde aura oublié ce flirt éphémère avec le jeu de pelote.

Les Jeux Olympiques de 1900

Suite à cette première sans lendemain, la pelote parisienne doit sa relance à deux hommes: Charles Béguin et Albert Petit. Aucun n’est basque, mais tous deux ont d’étroits liens avec cette culture. Le premier est le fils de l’ancien consul de France à Bilbao où il a pu découvrir le sport de première main, et le second (inspecteur à la cour des compte au civil) est président d’une société basque sur la capitale.

En 1898, Charles Béguin fonde à Neuilly-sur-Seine la Société du Jeu de Pelote, peut-être la première de ce genre au nord de l’Adour. Aussitôt, la société érige le premier fronton pérenne de la capitale au 26 rue Pauline Borghèse à Neuilly.

Le fronton de Neuilly en 1899

Pendant que les première balles claquent sur le fronton de Neuilly, les deuxièmes Jeux Olympiques qui doivent se tenir en 1900 à Paris se préparent. Enfin Jeux Olympiques… Ces jeux n’en sont pas vraiment, ils constituent en réalité une suite de concours organisés en marge de l’Exposition Universelle prévue cette même année dans la capitale. A l’époque, personne n’évoque le caractère olympique des épreuves sportives organisées.

Il n’existe pas de programme olympique à proprement dit non plus. La commission des sports de l’Exposition a toute latitude quant à la sélection des sports. Albert Petit tente courageusement sa chance au nom du jeu basque. D’abord ridiculisée, sa proposition est, à force de persuasion et grâce au concours de trois députés des Basses-Pyrénées, « réservée » par la commission en 1899, puis finalement entérinée en mars 1900, deux mois à peine avant le début des épreuves !

La somme allouée à la discipline par la commission des sports est faible: 13 000 Francs. C’est nettement insuffisant pour construire un fronton à l’intérieur du Parc des Expositions comme l’aurait souhaité Mr Petit, cela reste suffisant cependant pour améliorer les installations de Charles Béguin à Neuilly. Profitant de cette petite manne, on réaménage le mur à gauche et une petite tribune est construite pour accueillir les curieux durant le concours.

Un comité est alors formé pour mener à bien le concours de pelote. Il sera constitué de deux membres uniquement: Charles Béguin et son trésorier Duhart. Une fois, les travaux effectués à Neuilly,  les deux compères se retrouvent avec seulement 3 000 Francs à distribuer (en espèce ou en nature) aux pelotaris du monde entier. Pour les convaincre de faire le long voyage jusqu’à Paris, c’est peu, très peu. C’est environ 100 fois moins que l’ensemble des prix prévus pour les épreuves de tir par exemple. C’est aussi deux fois moins que ce qui est promis aux adeptes de la pêche à la ligne…

Avec un si maigre butin, difficile d’imaginer un miracle. Les organisateurs promettent toutefois un titre de « champion du monde » aux vainqueurs qui ne vaut guère plus que le papier sur lequel il sera imprimé.

Malgré tout, on prévoit de tenir trois concours, l’un réservé aux professionnels (cesta punta), et deux autres pour les amateurs (cesta punta et mains nues).

Un instantané de l’une des trois seules parties olympiques qui se sont tenus à Neuilly en 1900.

Ce sont les professionnels qui ouvrent les hostilités le 17 juin. Trois paires sont au programme, deux espagnoles et une française. Toutes basques évidemment. La paire française finira dernière. Elle est composée des deux frères Pierre et Joseph Apesteguy venus de Cambo-les-Bains, dont le plus jeune se fait déjà connaitre sous le nom de Chiquito…

Les trois parties que ces équipes professionnelles disputent seront les trois seules du concours… En effet, coté amateur, le concours à mains nues n’est pas joué faute de concurrents; quant à celui de Cesta Punta, si deux équipes étaient bien présentes à Neuilly, aucun match ne s’est disputé, la paire française refusant d’honorer la partie pour d’obscures raisons réglementaires, offrant ainsi aux Espagnols le premier titre olympique de l’histoire olympique de leur pays et ce, sans avoir eu à verser la moindre goûte de sueur. (1)

Malgré cette déconvenue et une compétition conclue sur un un léger déficit, le Comité de Pelote Basque se montre satisfait de l’expérience. Jusqu’à 1000 spectateurs se sont déplacés à Neuilly pour découvrir le jeu, et les titres de presse, en plus d’être assez nombreux ont été très largement positifs.

Héritière des Jeux

Cette mise en lumière olympique permet un début d’engouement pour la pelote. Durant l’année 1901, Chiquito de Cambo revient rue Borghèse, mais désormais lui et son sport ne sont plus des inconnus. A l’égal des cyclistes célèbres, Chiquito est une vedette et son nom suffit à faire venir à lui les foules. Ses exploits sont largement rapportés par la presse, notamment par l’Auto ou La Vie au Grand Air qui soutiennent largement la pelote à Paris.

Chiquito de Cambo à la une de la presse parisienne

Grâce à une nouvelle souscription, la société du Jeu de Pelote acquiert un nouveau terrain à deux pas de la rue Borghèse, sur le boulevard Bineau. Là, elle fait ériger un deuxième fronton, plus vaste et mieux aménagé encore que le précédent, mieux desservi aussi: le tramway s’y arrête presque directement. Pour l’ouverture en mai 1902, l’enfant de Cambo-les-Bains est de nouveau présent. Les gradins sont remplis pour la première de ce nouveau fronton.

Mais Neuilly n’est pas le Pays Basque, et deux terrains de pelote côte à côte c’est peut-être trop. Ca l’est du moins pour le chanteur d’opéra Guillaume Ibos, propriétaire d’un terrain qui a le malheur de toucher les deux frontons, et qui se plaint de près d’un millier de balle qui seraient tombées sur son terrain engageant de nombreux dégâts, la mort d’innocentes volailles et la fuite de ses locataires. Il demande si ce n’est la fermeture des canchas de Neuilly, au moins leur couverture complète ainsi que des dommages-intérêts.

Le jugement ne sera rendu qu’en 1909 et imposera une couverture totale du Fronton Bineau.

Le 27 septembre 1903, un troisième fronton est inauguré, toujours à Neuilly, mais cette fois-ci par une nouvelle société: le Cercle Saint-James. Située au 54 rue de Longchamp, la place Saint-James devient un temps un lieu de villégiature privilégié de la haute société parisienne qui peut s’y distraire au milieu d’un parc privé. Le cercle possède également des courts de tennis, un stand de tir et une salle d’arme réservés aux membres. Des concerts et des dîners sont également prévus.

La plus belle place de Paris.

Dès sa première saison, les 4 000 places de son unique tribune sont insuffisantes pour accueillir la foule qui souhaite se rendre à Neuilly pour assister aux démonstrations entre joueurs professionnels. Dès la saison suivante, de nouvelles tribunes permettent à 10 000 parisiens d’être présents aux matchs

Les projets de frontons se multiplient dans et autour de Paris au Vésinet, à Vincennes ou même à Quévilly. Malheureusement ces projets resteront pour la plupart en l’état de projet. Cela ne décourage pas pour autant de nombreux clubs parisiens d’ouvrir des sections pelote basque. On joue au CA Paris, au SC Vaugirard au SCUF, ou au Red Star. Ces nouvelles équipes s’entraînent sur des frontons de fortune aménagées aux Arènes de Lutèce, Porte de Châtillon ou Rue Claude Decaen.

La pelote entre également dans les lycées, un championnat scolaire se déroule à partir de 1903. Beaucoup de grands noms y participent: Fénelon, Gerson, Janson de Sailly, Condorcet, etc.

Les balles rebondissent aussi ailleurs en France, en Aquitaine bien sûr (Bordeaux, Dax, Mont-de-Marsan…), mais aussi à Vichy, Clermont-Ferrand, ou Marseille. L’Olympique de Marseille, oui l’Olympique de Marseille, forme une équipe en 1906.

Le sport cherche également à se structurer, une commission de pelote basque est fondée au sein de l’USFSA (Union des sociétés françaises de sports athlétiques). Elle met en jeu un titre de champion de Paris en chistera et à mains nues. Ce champion de Paris doit ensuite affronter le Champion de la Côte d’Argent pour le titre national. Evidemment, les joueurs parisiens ne sont pas au niveau de leurs homologues basques. En 1912, l’Aviron Bayonnais remporte le titre de champion de France de pelote en se débarrassant 60 à 11 du Club Athlétique du XIVe arrondissent. La presse notera le ‘beau courage’ de la team parisienne.

Pourtant malgré ces progrès tant à Paris qu’ailleurs en France, le cœur parisien de la pelote s’essouffle à Neuilly. Les grandes soirées entre professionnels basques se font plus rares, et les amateurs qui prennent leur place sont loin d’attirer le même genre de public.

Première alerte, le fronton Borghèse dont la pratique n’était déjà plus que réservée aux amateurs cesse ses activités vers 1906.

Contraint par le procès Ibos de réaménager sa cancha, le Fronton Bineau fait relâche durant l’année 1910 (et en profite pour accueillir un match de boxe, une première en France pour un match en plein air). Le fronton désormais entièrement couvert par une toile et éclairé réouvre en 1911. L’occasion pour Chiquito d’une dernière partie à Paris. Ce devait être la dernière saison du Fronton Bineau.

Ceci n’est pas une partie de pelote basque.

Enfin, c’est au tour du fronton du Cercle de Saint-James de disparaître à son tour en 1912.  Les quelques tentatives de diversification (matchs de boxes là-aussi, galas folkloriques…) n’ayant fait que retarder l’échéance. Comme 20 ans plus tôt au Champs de Mars, le public parisien est passé à autre chose, délaissant peu à peu les tribunes des canchas de Neuilly.

Après la fermeture de Saint-James, la pelote croit rebondir une dernière fois en 1914 au « Fronton Moderne » situé au n°190 du boulevard Bineau. Des « Championnats du Monde » y sont même organisés, mais c’est trop tard. Ce dernier fronton, le quatrième de la ville, ne vivra qu’une seule saison. Le déclenchement de la Grande Guerre est imminente.

Après guerre, la pelote rebondira à Paris et ailleurs, mais pas à Neuilly qui en avait pourtant été son berceau francilien. L’histoire d’amour de Neuilly avec le jeu des Basques venait de prendre fin définitivement et avec elle tout un pan de l’histoire de ce sport en France.

 


(1) En 2004, le CIO a revu entièrement le palmarès olympique des ces Jeux très particuliers. La médaille gagnée au Tir aux Pigeons qui était jusque-là considérée comme la première médaille de l’histoire olympique espagnole  ayant été jugée comme non valide, cette victoire sans combattre est devenue de fait la première médaille espagnole de l’histoire. La partie professionnelle n’ayant jamais été retenue par le CIO pour d’évidentes raison d’éthique amateur.

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