Parallèlement à la Guerre des Terrains (ici et là), le jeune mouvement treiziste a dû dès sa naissance en 1934 mener une autre bataille: celle de sa reconnaissance par les autorités sportives.
Un rugby professionnel inévitable
Bien avant que le premier match de ce nouveau sport ne soit joué sur notre sol, la question de l’amateurisme marron et du professionnalisme (1) déchirait déjà le rugby français. La rupture avec les Home Nations britanniques en 1931 avait encore un peu plus enflammé le débat et l’arrivée de ce nouveau rugby professionnel en France n’enrageait en rien la situation.
En 1932 et 1933, les quelques tentatives d’approche australiennes ou anglaises pour implanter le rugby professionnel en France avaient été éconduites par la Fédération Française de Rugby (FFR). En 1934, la Rugby Football League (RFL) va jusqu’à proposer d’organiser des matchs entre équipes de 15 joueurs ! A cette heure de l’histoire, il n’est pas encore réellement question du nombre de joueurs, de touches ou de tenus. La grande affaire n’est pas celle du rugby à XIII, mais celle du rugby professionnel.
Les promesses de matchs internationaux de la RFL n’intéressent pas la FFR. Elle préfère se saborder qu’oser déplaire aux unions britanniques. Outre-manche, le mot d’ordre est simple: « Ne touchez pas au rugby professionnel si vous voulez voir revenir un jour nos équipes. Jamais nos Unions ne consentiront à entretenir des rapports avec un organisme régissant à la fois le rugby professionnel et amateur« . La fédération française exécute les ordres.
Tant pis, l’histoire du rugby professionnel français se passera d’elle et se jouera avec 2 joueurs en moins dans chaque camp. Le 6 avril 1934, la Ligue Française de Rugby à XIII est fondée à Paris.
Le Comité National des Sports
Dès sa naissance, la Ligue cherche à intégrer le CNS. Quelques semaine plus tard, le 10 juillet 1934, le Comité donne sa réponse: négative, sans même que les treizistes aient pu être entendus. La raison est simple et restera la même année après année. Par ses statuts, le CNS ne reconnait qu’une seule fédération par sport. La Fédération Française de Rugby a su convaincre que le rugby à XIII ne constituait pas un sport nouveau, mais une variante d’un jeu déjà existant.
Pour la FFR qui prétend « contrôler le rugby amateur en France, c’est à dire toutes les manières de jouer au rugby depuis le jeu à 7, jusqu’au jeu à 15″, la décision du CNS est une première victoire. Robert Bernstein, président de la commission d’amateurisme de la fédération s’en montre satisfait:
« Une décision très normale. Il n’y a aucune distinction à faire entre le rugby à XIII ou à XV . Ce ne sont pas deux sports différents, ce sont d’autres règles appliquées à un sport. Il s’agit de ne pas favoriser une fédération qui, pour développer le professionnalisme a modifié les règlements du rugby. Une fédération qui sort d’asile à ceux que nous avons proscrits pour des raison de moralité. »
La légitimé sportive étant ainsi refusée au nouveau code. La FFR peut continuer à lui livrer sa guerre des terrains en toute quiétude (guerre quelle finira par lamentablement perdre du reste). Les accords qu’elle a noués avec d’autres fédérations (aviron, athlétisme, natation…) sont toujours en vigueur et provoque l’extension à ces fédérations des radiations d’athlètes qu’elle a elle-même décidé. Quand ce n’est pas des clubs entiers qui sont bannis pour trahison treiziste…
Un nouveau sport ?
Bien sûr, l’argument des fédéraux repose sur une magnifique hypocrisie. « Le rugby à XIII n’est pas un nouveau sport, nous somme seul dépositaire du rugby, même si nous souhaitons n’avoir rien à faire avec ce rugby qui se joue à 13 joueurs. »
Roger Dantou, président de la FFR, jettera d’ailleurs le masque au détours d’une interview donnée en 1936 : »Nous sommes continuellement sollicités de sortir de notre cadre pour englober un autre rugby que je ne critique pas, mais qui est tout de même complètement différent à tous les points de vue du rugby orthodoxe. »
Mais, à cette hypocrisie fédérale, répond une autre, celle du néo-rugby (comme le rugby à XIII se plait à se laisser appeler): « Bien sûr, nous sommes un sport nouveau, à part entière. Certes, nous reprenons le nom de l’ancien, ses joueurs, ses clubs, ses terrains et même son public, mais nous n’avons rien à voir avec lui. » Si techniquement le rugby à XIII n’est pas un mouvement dissident; de fait, il en est un.
Qui parmi ces premiers treizistes considèrent le rugby à XIII comme une chose réellement nouvelle ? Aucun ou presque. Les treizistes d’hier comme d’aujourd’hui se sont glissés dans les habits aisés du néo-rugby. Pour le meilleur, et le pire…
Beaucoup se sont engouffrés dans cette porte ouverte sans même prendre le temps de s’intéresser à ce nouveau jeu. Le Catalan Marcel Laborde par exemple: « Mais encore pour moi, il s’agit moins de ce rugby à treize, que je ne connais pas et que j’attends de voir pour juger que de l’établissement d’un statut moral du rugby. Le rugby professionnel doit devenir le supplément du rugby fédéral. »
Rien n’indique que ces premiers treizistes soient particulièrement progressistes, modernes ou épris de liberté. Par contre, tous, les Galia, Laborde, Loze …sont en conflit plus ou moins ouvert avec le pouvoir fédéral ou ont un intérêt personnel à l’aventure treiziste. Etre treiziste dans les années 30 n’est pas un choix idéologique. C’est d’abord une question d’opportunité.
Il ne s’agit pas d’une guerre entre le rugby à XV et le rugby à XIII, mais d’une guerre à travers le rugby entre deux parties cherchant le contrôle de la même chose. Un nouveau venu qui cherche à gagner des parts de marchés, l’autre qui tente de les sauvegarder. Voilà tout. Pour quelle raison, la fédération n’userait pas de tout son pouvoir pour barrer la route d’un concurrent qui n’a pas d’autre ambition que de la remplacer ?
Je suis du gouvernement et je viens vous aider
Si la FFR bloque avec succès toute possibilité de reconnaissance au niveau sportif, il reste une carte à jouer pour la Ligue: celle du gouvernement. Le 16 février 1936, celui-ci est pour la première fois représenté officiellement à un match de néo-rugby au cours du France Angleterre joué à Buffalo. Le Ministre de la Marine François Pietri préside à la rencontre (2)
En juin 1936 avec l’arrivée du Front Populaire au pouvoir apparaît un nouveau portefeuille, celui de sous-secrétaire d’État aux Sports et aux Loisirs confié au socialiste Léo Lagrange. Pour la première fois, le mot ‘sport’ apparaît dans les attributions d’Etat. Comme c’est assez commun à gauche, Lagrange n’est pas particulièrement un grand amateur du sport professionnel qu’il qualifie de ‘cirque’ et qu’il oppose volontiers au sport de masse: (3)
« Aussi, de toutes mes forces, je m’opposerai au développement du sport professionnel dans notre pays. Je détiens du parlement la charge de servir les intérêts de toute la jeunesse française, et non pas de créer un nouveau spectacle de cirque ».
Il cherche pourtant à mettre un terme à la querelle du monde ovale et reçoit officiellement le 4 décembre 1936 au siège de son ministère les dirigeants de la Ligue, deux jours avant d’aller lui-même présider le match international de XIII opposant la France au Pays de Galles. Il souhaite convoquer les responsables des deux bords pour mettre un terme au conflit: « La politique actuelle des fédérations est inadmissible . Je veux, à tout prix, et au plus tôt, que cela cesse. Il faudra bien qu’une solution définitive intervienne. » Mais sans toutefois mordre sur les prérogatives du sport français : « Les dirigeants du CNS et de la FFR sont maîtres chez eux. Ne compter pas sur moi pour leur forcer la main » Difficile équilibre…La rencontre entre dirigeants des deux mouvements qu’il souhaite ne se fera pas.
Ses pouvoirs ne sont de toute manière que très limités, et il ne peut imposer à la FFR de reconnaître ce qu’elle juge comme des dissidents. Au mieux, il peut accorder à la Ligue une reconnaissance morale en lui donnant le titre de Société Agrée par le Gouvernement (SAG). En février 1937, plusieurs journaux croient savoir que la Ligue doit recevoir rapidement son agrément. Il n’en est rien.
Finalement, le 12 Janvier 1938, le second gouvernement du Front populaire – qui tombera deux jours plus tard – accorde par la main de Camille Chautemps, lui-même ancien rugbyman, l’agrément qui permet au XIII d’être officiellement reconnu en France par les pouvoirs publics. Ah enfin, la Ligue devient une SAG à l’égale de la société de tir de Meudon ou des gymnastes de Bourg-en-Bresse. Joie et cotillons.
En réalité, cette reconnaissance par l’Etat ne change rien aux affaires treizistes. Le Graal est ailleurs, dans les mains du CNS. Le secrétaire général de la Ligue Fernand Queheillard en est parfaitement conscient: « Puisque nous sommes agréés par le gouvernement, c’est à dire reconnus d’utilité publique, nous allons demander notre adhésion au Comité National des Sports. »
Mais le Comité ne tarde pas à renvoyer le XIII à ses chères études : « L’agrément ne change rien en ce qui nous concerne ». Quand bien même le XIII est désormais reconnu par les pouvoirs publics, aucun siège ne l’entend du côté du CNS. Une seule fédération par sport. Toujours. La Ligue est certes agrée, mais concrètement rien n’a changé pour elle.
Une nouvelle fois bredouille, la Ligue commande un rapport tâchant de retracer l’histoire de son sport et de montrer en quoi il serait différent du rugby à XV. Ce document prétend aussi que le XIII serait le rugby le mieux adapté au ‘tempérament français’. Le temps n’étant pas à un professionnalisme zélé, on y affirme également une conception du paiement des joueurs à l’opposé du professionnalisme intégral. Distribué aux pouvoirs publics pour tenter de leur forcer la main, le rapport n’aura guère d’impact.
Parallèlement, en 1939, le Ministre de l’Education Nationale Jean Zay propose un vaste plan de réforme du sport français, qui aurait permis la mainmise le développement et l’accompagnement du sport français par l’Etat. Zay prévoit notamment la constitution d’un Conseil National des Fédérations en remplacement du CNS (rebaptisé CNEPS entre-temps) et dont les membres auraient été du ressort des pouvoirs publics. De fait, le rugby à XIII aurait sans doute enfin été reconnu par le mouvement sportif (mais pas seulement, l’Union Française de Marche en lutte aux mêmes problèmes avec la fédération d’athlétisme en aurait également profité par exemple).
Ces essais de mise sous tutelle du sport se briseront sur l’année 1939 qui s’occupera bientôt de choses bien plus graves. L’étatisation en marche du sport français ne s’arrêtera pourtant pas avec la debacle de juin 40. Les bribes qu’avaient lancées le Front Populaire seront largement reprises à son compte par Vichy. La Libération y apportera son sceau républicain et la Ve République son couronnement. Peu aujourd’hui, souhaitent remettre cette tutelle en question…
L’ironie de l’histoire voudra que le XIII qui aurait pu profiter du contrôle des pouvoirs publics sur le sport pour être reconnu sera en réalité l’une des ses premières victime. A l’automne 1940, le néo-rugby n’est plus.
Notes:
(1) Lorsqu’on parle de professionnalisme dans le sport français dans les années 30, il ne s’agit pas de vivre de son sport, mais simplement de toucher de l’argent pour sa pratique sportive, ce qui sera le cas des treizistes français. Aujourd’hui, on parlerait de semi-professionnalisme, mais à l’époque, la distinction ne se faisait presque jamais.
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Very interesting story of rugby 13