Stratégie de l’échec: le football professionnel à Bordeaux avant les Girondins

Comme Lyon, Bordeaux est également absent du premier championnat de France professionnel de l’histoire en 1932. La cité girondine fera ses débute la saison suivante sous la bannière du Sporting Club de la Bastidienne et du Deportivo de Bordeaux.

Faux départ

Dans cette terre de rugby du Sud-Ouest, Bordeaux n’a guère de concurrence lorsqu’il s’agit de ballon rond. Chaque année, ce sont ses équipes qui remportent le titre régional. A la Vie au Grand Air (VGA) du Médoc au début des années 20, succèdent le Stade Bordelais, puis le Sporting Club de la Bastidienne (SCB) dans la deuxième moitié de la décennie. Le club rouge et blanc du quartier de la Bastide sur la rive droite de la Garonne, atteint également les huitièmes de finale de la Coupe de France trois fois consécutivement entre 1928 et 1930.

Deportivo-Girondins, au pont-de-la-Maye, 1930

Au début des années 30, un concurrent à la Bastidienne émerge: le Deportivo de Bordeaux, ou de son nom complet Réal Club Deportivo Espanyol. Fondé en 1926, le club cherche à regrouper les forces ibériques de la région, et connait un succès fulgurant. Promu chaque année, le Deportivo atteint la finale de la Division d’Honneur face à la Bastidienne dès 1930, avant d’être sacré champion régional les deux années suivantes, à chaque fois contre le SCB.

Les Bastidiens évoluent au Stadium Galin, les Espagnols possèdent, eux, leur propre terrain au Pont de Maye à Villenave d’Ornon.

Alors que la Fédération Française de Football Association (FFFA) vient d’officialiser les débuts du football professionnel, le Deportivo est l’un des trois premiers clubs avec le FC Sète et l’Olympique d’Antibes à demander en février 1932 à la fédération l’autorisation d’utiliser les services de footballeurs rémunérés. La Bastidienne suit rapidement le mouvement initié par les Espagnols.

La question d’une éventuelle participation bordelaise n’avait visiblement pas été envisagée. En Aquitaine, on est loin du Nord ou de la Méditerranée, là où le ballon rond est le plus populaire et où on pense implanter le professionnalisme. On s’inquiète des frais qu’engendrait des déplacements dans la lointaine Gironde et du temps qu’il faudrait pour s’y rendre (tous les joueurs ne vivent pas encore de leur sport, beaucoup doivent poser des congés pour disputer le championnat).

Début avril, la fédération arrête une liste de 17 clubs autorisés à recruter des joueurs rémunérés. Les deux équipes bordelaises en sont absentes. La décision est réservée à l’avis de la commission d’étude du professionnalisme qui le 9 avril rejette définitivement la candidature des Espagnols faute de garantie sportive et financière. Même chose pour la Bastidienne quelques jours plus tard.

LA VGA, également, se montrera un temps intéressé par les promesses du professionnalisme et lancera un appel en ce sens dans la presse locale en 1933.

En entendant les débuts du football autorisé aquitain, les deux grands du Sud-Ouest se retrouvent une ultime fois en finale de la Ligue du Sud-Ouest en 1933. La Bastidienne triomphera au terme de trois rencontres acharnées.

Premiers et derniers derbies

Jouer et dirigeants de la Bastidienne (saison 33-34)Au printemps 1933, la fédération innove avec la mise en place d’une deuxième division professionnelle divisée en deux groupes Sud et Nord. Les deux compères du football bordelais retentent ainsi leur chance dans ce nouveau championnat. Cette fois – et peut-être parce qu’il fallait bien remplir les effectifs de la zone sud – les deux clubs sont acceptés à la fin du mois de juin 1933. Cette nouvelle division s’élancera avec 23 unités, 14 nordistes et 9 issus du Midi.

A la Bastide, on s’apprête pour la nouvelle saison. Le Stadium Galin s’enrichit de nouvelles tribunes; quant à l’équipe, elle gagne une triplette de professionnels venus d’Autriche. Au Pont de la Maye, l’équipe du Deportivo est largement remaniée. Bien sur, les recrues sont presque exclusivement espagnoles, basques notamment. Cinq joueurs sont recrutés au Sud des Pyrénées.

Ce premier championnat de deuxième division s’ouvre le 3 septembre 1933, Les deux clubs bordealais sont défaits: en déplacement à Lyon pour le Deportivo, et à domicile pour la Bastidienne qui accueille l’AS Saint-Etienne. Les Espagnols l’emporteront dès leur deuxième sortie, le 10 septembre, contre Béziers. Les Bastidiens attendront le 22 octobre pour triompher de son premier adversaire.

Le 17 septembre 1933 et le 25 février 1934 les rivaux girondins se retrouvent dans un derby qui restera unique dans l’histoire du football local. Par deux fois, les Espagnols l’emportent (2-1 et 4-1)

Le Deportivo conclut la saison une une encourageante quatrième pace du Groupe Sud. La Bastidienne termine le championnat à la septième et avant dernière place.

L’équipe du Deportivo et son président Gonzales (http://deportivoespagnolbordeaux.blogspot.com/)

Une fusion imposée

La commission du football autorisé décide le 20 juin 1934 de supprimer la séparation de la deuxième division en deux groupes et de limiter les engagements pour la future saison à 15 équipes (il y’en aura finalement 16). La commission ne souhaite plus voir de clubs déclarer forfait en cours de championnat comme viennent de la faire l’US Suisse et le FAC Nice. D’autres ont des dettes importantes au près de la fédération.

La FFFA tranche dans le vif; le Club Français le FC Hyères, L’OGC Nice, le SO Béziers et l’AS Monaco sont exclus du football autorisé.

A Bordeaux, le Deportivo n’a pas de dette, la Bastidenne doit encore 50.000 francs qu’elle réglera rapidement. Reste que les recettes des deux clubs sont faibles et suffisent à peine pour rembourser les adversaires de leurs déplacements. Avec la disparition du groupe Sud, les frais que devront avancer les Girondins seront encore plus élevés.

Le 22 juin, la fédération décide que la grande ville aquitaine n’aura désormais qu’un seul représentant dans les rangs professionnels. Après avoir promis cette place au Deportivo, puis au SCB, elle se refuse finalement à choisir l’un ou l’autre et préfère une fusion des deux. Avec un mot d’ordre simple: « si la fusion ne s’opère pas, c’en est finit du professionnalisme dans votre cité ».

Il semble que l’emblématique maire de la cité bordelaise Adrien Marquet ait joué un rôle majeur pour faire accepter la décision. Elle se fait toutefois sans le président historique de la Bastidienne, Jean Pujolle, qui se retire de l’aventure et que l’on retrouvera après-guerre à la tête des Girondins. La fédération s’occupe de trouver un nom à l’union: le FC Hispano Bastidien (FCHB). La présence du nouveau club en deuxième division est entérinée par la  FFFA le 9 juillet.

Manuel Gonzales, l’ancien président des Espagnols, prend la vice-présidence de l’entente. Il se montre confiant quant à l’avenir du club:

« Je crois fermement que nous réussiront. La colonie espagnole est nombreuse à Bordeaux et nous pourrons compter sur de fermes appuis notamment sur celui de M. Marquet, ministre, député et maire de Bordeaux. »

Le dirigeant espère rien de moins que de « lancer le football dans le Sud-Ouest ».

Le FC Hispano Bastidien

Par dérogation spéciale (la FFFA vient de limiter le nombre d’étrangers à 3), L’équipe hispano-bordelaise pourra compter jusqu’à 5 joueurs espagnols sur le terrain, mais aucun autre renfort étranger. Le célèbre entraîneur britannique Victor Gibson, passé notamment par Marseille ou Sochaux, en prend la tête (il a avait signé au SCB avant la fusion).

Le club recrute également une autre vedette du football français: Alexandre Villaplane, capitaine de l’équipe de France durant la Coupe du Monde 1930. Celui qui n’a pas encore la passion des uniformes Hugo Boss est rattrapé fin août par une affaire de paris truqués qui entraîne sa suspension par la FFFA et par la suite quelques mois de cachot. Il n’a semble t-il pas joué le moindre match sous ses nouvelles couleurs bordelaises.

Après quelques matchs au Parc Suzon de Talence, le FCHB s’installe fin septembre à Galin dont la municipalité vient de terminer les derniers aménagements. L’ancien terrain bastidien est d’ailleurs baptisé à cette occasion du nom d’Adrien Marquet. L’équipe y fait ses débuts pour la réception de Saint-Etienne le 24 septembre 1934 (2-4).

Rapidement, la réunion des deux anciens rivaux crée des tensions, notamment chez les Espagnols qui s’estiment devoir être en majorité. Les résultats sur le terrain sont catastrophiques, le club enchaîne les défaites, dont une mémorable contre Caen (0-12), peut-être la pire défaite de l’histoire du football professionnel français*. Gibson ayant eu la curieuse idée de faire débuter le gardien titulaire au poste d’ailier droit. #yolo.

Fin janvier, le Britannique quitte Bordeaux et par la même occasion le football français qu’il aura servi pendant plus de 20 ans. Il est remplacé par un habitué de la maison bastidienne: Abel Gros. La Bastide semble alors reprendre la main sur le club. Plusieurs joueurs espagnols quittent l’entente au début de l’année 1935, puis ce sont les anciens dirigeants du Deportivo qui claquent la porte après une énième défaite le 23 février face au CA Paris.

Cette désastreuse saison sur tous les fronts se conclue à la 14e et dernière place avec seulement 3 victoires. Pour son dernier match, les Hispanos-Bordelais s’inclinent le 12 mai 1935 4 à 0 devant Amiens sur son terrain à Galin.

Le 20 mai, la fédération décide d’écarter deux équipes du professionnalisme: l’US Tourcoing et le FCHB, mettant ainsi un point final à cette union hispano-bastidienne contre nature qui n’avait jamais été souhaitée par les premiers intéressés.

La naissance des Girondins BFC

Suite à cette saison, la FFFA fait de nouveau appel à candidatures pour rejoindre les rangs professionnels. De Bordeaux, elle en reçoit… trois ! Le Deportivo et la Bastidienne qui se refusent désormais à faire cause commune, ainsi que celle du FC Bordeaux (qui participera à la finale du Championnat de France Amateur cette année là). Aucune ne sera retenue par la fédération, faute de garanties financières suffisantes.

La fédération n’a pas abandonné tout espoir de voir le football professionnel s’ancrer à Bordeaux, mais préfère toujours une entente entre les différents acteurs du football bordelais. Diverses réunions entre les dirigeants girondins n’y feront rien. Il n’y a pas, il n’y a plus d’entente possible.

En 1936, la fédération reçoit de nouveau trois propositions venues de Gironde; les Espagnols et la Bastidienne, bien sûr, mais aussi celle d' »un club en voie de constitution ». Ce club c’est le Bordeaux FC (qui n’est pas le FC Bordeaux), un groupement qui en réalité ne réunit encore que des dirigeants et des fonds (300 000 francs), mais ni terrain, ni équipe.

A l’automne 1936, le Bordeaux FC se rapproche du Girondins Guyenne Sports, qui vient de gagner son premier trophée, la Coupe du Sud-Ouest, et qui, surtout, s’apprête à mettre en chantier un tout nouveau stade dans le quartier des Chartron dont il sera propriétaire. La fusion des deux groupes est effective en octobre sous le nom de Girondins Bordeaux Football Club. Désormais tout est réuni: effectif, stade, dirigeants et fonds suffisants.

En 1937, la candidature des Girondins est acceptée par la Fédération. Le football bordelais tient enfin son grand club professionnel.

Les Girondins au Stade Adrien Marquet (Galin) en 1937

Epilogue

Les Girondins font leur débuts professionnel le 22 août 1937 contre l’autre nouvelle équipe du Sud Ouest, le Toulouse FC. Ils termineront cette première saison qu’ils disputent au Stade Adrien Marquet à la 6e place (sur 7 de la poule Sud). A Villenave d’Ornon, le Deportivo semble s’éteindre vers 1939. Quant à la Bastidienne, elle se maintiendra longtemps à un très bon niveau amateur. Un éventuel retour dans le football rémunéré aux côtés du club au scapulaires sera même évoqué dans les années 60.


Source (1) : Le Football Professionnel Français
Source (2) : Gallica, Retronews


* En première division, la pire défaite reconnue est un 12-1 entre Sochaux et Valenciennes en 1935. Personne n’a tenu les comptes pour la deuxième division.

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Comments

  1. Super boulot! Une histoire du football en aquitaine est-elle envisageable? Football basque (en France) béarnais et gascon ce serait vraiment génial?

  2. Bravo pour cet article sur les débuts du foot pro à Bordeaux ! Petite question : vous dîtes que la VGA Médoc aurait candidaté pour intégrer le championnat pro en 1933. M’intéressant particulièrement à ce club (qui était en perte de vitesse dans les années 30), je suis preneur si vous avez des infos et sources sur cet épisode. Sportivement. Nicolas

    1. Merci 🙂 Malheureusement, je n’ai plus la source. Je pense que j’ai du trouver ça sur retronews (la Petite Gironde peut-être).

      Si vous connaissez les noms des dirigeants du club à cette époque, ça ne devrait par être trop dur à retrouver. Bonne recherches !

  3. Bonjour,
    Nicolas Galaup, m’a effectivement fait remarquer que la version d’une fusion entre FC de Bordeaux et GGS était fausse.
    Mais je ne trouve nulle part trace de ce Bordeaux F.C., club « fantôme », sans équipe et donc sans compte rendu de match. Puis je me permettre de vous demander où vous avez eu connaissance de cette levée de fond et de la fusion avec le GGS ?
    Je n’en ai pas trouvé trace non plus sur RetroNews.
    Merci de votre aide.
    Cordialement, Anton.

  4. Bonjour,
    Nicolas Galaup, m’a effectivement fait remarquer que la version d’une fusion entre FC de Bordeaux et GGS était fausse.
    Mais je ne trouve nulle part trace de ce Bordeaux F.C., club « fantôme », sans équipe et donc sans compte rendu de match. Puis je me permettre de vous demander où vous avez eu connaissance de cette levée de fond et de la fusion avec le GGS ?
    Je n’en ai pas trouvé trace non plus sur RetroNews.
    Merci de votre aide.
    Cordialement, Anton.

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