Une histoire du Sponsoring: Lagardère et le Matra-Racing

Après avoir abordé le cas de Roger Caille et du Jet Lyon, tournons-nous vers l’autre entrepreneur des années 80 qui a souhaité marier sport et industrie: Jean-Luc Lagardère

De l’électronique au football

Au début des années 60, Jean-Luc Lagardère débarque à Matra comme second de ce qui est encore une modeste entreprise d’électronique. Sous son impulsion, la société se diversifie (télécommunications, informatique, aéronautique, armement, automobile, etc.). Une politique encore accentuée lorsqu’en 1977 Lagardère devient le PDG de la firme.

L’évolution de Matra et le gout personnel de son nouveau président pour le sport, poussent la compagnie vers le sponsoring. Naturellement, le groupe s’intéresse d’abord  aux courses automobiles (Formule 3, 24 Heures, rallyes…). Le succès que Matra y connait encourage son président à  tourné son regard vers le sport dont il est un vrai amateur, le football.

A la fin des années 70, une première approche est tentée. Celui qui est également vice-président délégué et directeur général d’Europe 1 mène les négociations entre le Paris Football Club, le Racing Club de France, Europe 1 et la mairie de Paris afin de créer une société d’économie mixte (SEM) qui aurait porté une nouvelle équipe parisienne dénommée Paris 1. Ce projet ne verra jamais le jour.

La nationalisation de Matra après l’arrivée de la gauche au pouvoir ne change rien aux ambitions de Lagardère. En 1982, il remet sur le tapis son idée de fusion entre le Racing et le Paris FC, qui évolue alors en D2. S’il n’obtient pas la fusion, il gagne la présidence du Paris FC – qu’il renomme Racing Paris 1 – et l’autorisation par le Racing des couleurs et des installations du Colombes.  La fusion entre les deux clubs sera effective à l’intersaison suivante.

L’arrivée de Lagardère dans le foot français, bientôt suivie par celle de Bernard Tapie à Marseille est d’abord plutôt bien accueillie. Pour Robert Budzinski :  » Les nouveaux venus ont le mérite de réveiller tout le monde et d’obliger le football professionnel à repenser ses structures. Il est clair que si nous n’évoluons pas, si nous n’arrivons pas à convaincre nos partenaires, nous serons mangés.  »

Des ambitions contrariées

Grâce à un recrutement déjà haut de gamme, notamment marqué par l’arrivée de l’international algérien Rabah Madjer, le club remonte en D1 à l’issue de la saison 1983-1984 et trois tours de barrage contre Lyon, Nice et Saint-Etienne. Ces matchs de barrage à Colombes attirent la grande foule, jusqu’à 40 000 spectateurs. Des affluences qu’on avait plus vues à Colombes depuis dernier passage des Ciel et Blanc en première division au début des années 60.

Jean-Luc Lagardère en profite pour faire connaitre son ambition:  Devenir un grand d’Europe en 10 ans et voir le « Racing succéder à l’AS Saint-Etienne dans le cœur des Français« . Il en a certainement les moyens. L’entreprise Matra est avec Hachette l’un des deux piliers de son empire économique qui pèse une cinquantaine de milliards de francs.

Malgré les belles affluences des barrages à Colombes, le Racing opte pour son retour en première division pour le Parc des Princes où il doit cohabiter avec le Paris SG. Un choix que beaucoup ne partage pas, notamment Victor Zvunka, joueur et futur entraîneur du club:   » Nous n’aurions jamais dû venir jouer au Parc des Princes. Ici, nous ne sommes pas chez nous et les adversaires sont particulièrement motivés. Il fallait rester à Colombes … « .

Les affluences du Parc restent honnêtes cependant. Un peu plus de 9 000 spectateurs de moyenne, soit moins que ce que le Racing réalisait en D1 dans les années 50 ou 60, mais dans la moyenne de la première division de l’époque (autours de 10 000 spectateurs ).

Cette première saison en élite se termine sur une piteuse 20ème et dernière place. Pas de quoi décourager Lagardère qui redouble d’efforts et arrive à faire signer en Deuxième Division Maxime Bossis. Le club ne passe qu’une saison en D2 et est de nouveau promu. L’arrivée de Bossis est complétée par le recrutement de nouveaux internationaux (Francescoli, Littbarski, Olmetta…), et surtout celle de Luis Fernandez en provenance de la Porte de Saint Cloud .

Un derby en France – Musée d’Histoire Naturelle (Paris)

Malgré un effectif pléthorique et le soutient total de la firme, les résultats du Racing en championnat ne sont pas à la hauteur des ambitions de Lagardère (13ème en 1987). Même avec le recrutement comme entraîneur du tout récent champion d’Europe avec le FC Porto Artur Jorge, le Racing ne fait pas mieux qu’une 7ème place en 1988.

La politique matracienne

Ces résultats en demi-teinte s’expliquent sans doute en partie par la politique du club, en rupture complète avec les habitudes du football français. Lagardère souhaite importer dans le football les méthodes qui lui ont sourit dans le monde des affaires. « Notre démarche s’inscrit dans la durée et dans l’application au sport de nos principes de gestion » et allant plus loin : « Nous nous sommes fixés comme objectif de réussir avec de la chair humaine comme nous l’avons fait avec la matière« .

Lagardère ne se contente pas de simplement soutenir un club à la manière de Fiat à la Juventus ou de Phillips à Eindhoven ou bien de Peugeot en France avec Sochaux. Il considère l’équipe comme partie intégrante de son groupe, la ‘branche sportive de Matra’ pour reprendre l’expression du Directeur Général du club Serge Guyot. Autre signe de ce club-pas-tout-à-fait-comme-les-autres, un ancien directeur commercial de la filiale transports de Matra, Jean-Louis Piette, est nommé directeur général du club et devient l’homme de confiance de Lagardère au sein du club.

Du reste, Matra assure presque entièrement le budget du club (80 millions de francs). Lagardère ne cherche ni sponsors, ni subventions pour l’aider. Le Patron du Matra n’est pas un « tireur de sonnettes« .

La somme investie par l’entreprise est jugée dérisoire par rapport aux retombées espérées. « Nous contribuons à mieux faire connaître la marque avant le lancement de produits destinés au grand public. » L’équipe est également pensée comme un outil de promotion interne et d’identification des personnels.

La vision de Lagardère est rationnelle, technique, froide diront certains. Elle fait tâche dans ce football français des années 80 incarnés par des présidents-stars comme  Claude Bez (Bordeaux) ou  Bernard Tapie (Marseille). Des hommes au caractère méridional qui portent leur club et utilisent la moindre occasion pour faire parler d’eux. Des hommes qui rebondissent d’une polémique à l’autre, entretenant par la même la flamme chez leurs supporters. Jean Luc Lagardère préfère la modération. Une qualité sans doute lorsqu’ils s’agit de signer des contrats d’armement à l’autre bout du monde. Probablement, un défaut lorsqu’il s’agit de faire venir du monde au stade.

Claude Bez . #VraiPrésident

Même la rivalité avec le Paris Saint-Germain n’est pas vraiment entretenue. Le derby ne remplit pas les travées du Parc. Moins de 20 000 supporters s’y retrouvent, soit moins que pour les venues de Saint-Etienne ou de Bordeaux. A ses débuts, le club cherchait même une certaine synergie avec celui qui aurait du être son rival. Des abonnements double Racing-PSG avaient été ainsi proposés. Les racingmen  iront jusqu’à se plaindre des mauvais résultats du PSG pour expliquer le manque d’affluence. « On comptait sur le Paris-Saint-Germain pour nous servir de locomotive et amener les gens au stade. Hélas ! son mauvais début de saison n’a pas donné aux Parisiens l’envie de voir deux matches par semaine. »

Dernier élément de la politique sportive de Lagardère, le président souhaite donner le nom de Matra au club. Après tout, pourquoi la branche sportive de l’entreprise ne porterait-elle pas le nom de ladite entreprise ? Un changement interdit sous la forme associative, mais rendu possible après le passage du club en 1987 en Société à Objet Sportif (SOS). Cette société sportive détenue à 50% par Lagardère lui-même et 49 % par Matra prend le nom de Matra-Racing. Les Racingmen ne sont plus, bienvenue aux Matraciens.

La défaite des Modernes

« Finalement, la Formule 3, c’était pas si mal. »

Alors que la saison 1988-1989 est désastreuse sur le terrain (le club finira 17ème du championnat), un premier coup de semonce est tiré fin 1988 par Lagardère : »Quelquefois, il faut savoir dire : trop, c’est trop ! « . Les critiques exacerbées, les railleries devant l’échec du projet sportif, le président de Matra ne les goutte que trop peu.  L’équipe qui absorbe la moitié du budget promotion de la firme ne réussit pas dans sa mission publicitaire. L’image de l’équipe, du club et donc de la firme en souffre et de fait c’est l’existence de l’équipe qui est en péril.

Le 6 avril 1989, l’annonce redoutée tombe : «  Matra va arrêter son engagement dans le football« . L’ensemble des joueurs sous contrat sont placés sur la liste des transferts. Jean louis Piette définit peut être le mieux l’échec du Matra: « La vie du club est artificielle, l’argent ne résout pas tout.« 

Amère, Lagardère quitte le football sur son plus grand échec personnel. Il en profite pour régler ses comptes à un milieu jugé archaïque. « Continuer nous aurait obligé à rester à contre-courant trop longtemps, à changer trop de choses. Pour réussir, il faut être aidé : je me suis tourné et je n’ai pas vu d’amis. Je trouve extraordinaire que l’on instruise le procès du foot-business. Nous n’avons pas la même idée du sport et, peut-être, de la France« . Les accusations contre son club sont balayées: « Nous avons pourri le milieu du foot par l’argent ? Fichtre ! Je vous jure que jamais nous n’avons eu le budget le plus élevé et le plus haut salaire de France ! »

A peine une semaine après l’annonce, le derby se tient au Parc des Princes. Avec ironie, les supporters du PSG entonnent un « Ce n’est qu’un au revoir, Racing…  »

Avec le retrait de Matra, le Racing Club de France se retrouve sur les bras un club de D1. Un défi, que le président du RCF Alain Danet croit pouvoir aborder . « Ce n’est pas parce que Matra arrête que nous allons tous abandonner ! Est-ce que vous croyez que le Racing, premier club de France, se retire comme cela d’un sport ? » En ces temps d’européanisme triomphant, Alain Danet croit en l’émergence d’un « véritable club européen » soutenus par des investisseurs venus des quatre coins d’Europe. On parle de Berlusconi ou d’Agnelli.

D’investisseurs il y n’aura pas. Danet se tourne alors vers Lens fraîchement relégué en D2 à qui il propose une improbable fusion qui rappelle celle du Racing et de Sedan en 1966. Elle est refusée en dernier ressort par la Ligue Nationale de Football . Apparaît aussi dans cette affaire l’intérêt personnel de Jean-Luc Lagardère pour qui il est sans doute moins défavorable de voir le club continuer un an, que de payer des indemnités de licenciement à ses joueurs et entraîneurs. Le fond de commerce doit être liquidé avant le dépôt de bilan.

Bon an mal, le club repart pour la saison 1989-1990 avec le soutient limité de Jean Luc Lagardère et sous son ancien nom de Racing Paris 1. Avec un budget amputé de moitié et des joueurs pour l’essentiel issus de la formation francilienne, le club termine la saison à l’avant dernière place devant des affluences comparables à celles des années précédentes ( 8 400 spectateurs).

Pied de nez de l’histoire , ce néo-Racing au régime sec a failli réussir ce que celui des vedettes du Matra n’avait jamais accompli: accrocher une qualification européenne. Après un parcours qui aura vu le club parisien éliminer notamment le grand Marseille en demi-finales, le Racing sera défait en finale par Montpellier (2-1). Un dernier coup d’éclat sans lendemains. Avec le retrait définitif de Lagardère et le refus de subvention de la mairie de Paris. Jean-Louis Piette – qui est resté aux commandes du club – décide de repartir en 3ème division. Un long chemin de croix, dont il n’est pas encore sorti, attendait le club…

Après l’épisode Matra-Racing, Jean Luc Lagardère se tournera un temps vers le monde hippique en reprenant notamment un haras dans le Calvados.  Depuis son décès en 2003, un prix en son honneur est d’ailleurs décerné le jour du Prix de l’Arc de Triomphe. Quant au football, aucun prix, aucun trophée, aucun vestige n’existe qui en rappellerait son passage.

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