En 1932 s’ouvre le premier le Championnat de France professionnel de l’histoire. La deuxième agglomeration de France n’en fait pas partie. Un homme refuse cette situation: Jean Mazier. Il mènera trois fois le combat pour implanter le professionnalisme à Lyon ou Villeurbanne, sous trois bannières différentes. Trois fois, il échouera.
1918. Un coup pour rien.
Le 5 mai 1918, finale de la première Coupe de France de l’histoire. La section de football association du FC Lyon s’incline au Stade de la Légion Saint-Michel Contre l’Olympique de Paris. Ce match aurait pu marqué les grands débuts du football lyonnais au plus haut niveau, il n’en sera rien.
Dans son championnat du Lyonnais, les grands clubs de l’agglomération, le FC Lyon, le Lyon Olympique Universitaire, l’AS Lyonnaise, ou le Club Sportif des Terreaux ne remportent aucun titre entre 1925 et 1932. Au niveau national, on note seulement un maigre quart de finale de Coupe de France pour le FCL en 1926.
Le désintérêt de la population lyonnaise est criant pour le ballon rond, celui des journaux également. Dans les années 20, les gazettes locales ne consacrent que 6% des articles ou photos sportives mises en une au football, très loin du rugby avec près de 30% des articles ou du cyclisme (20%). La discipline fait à peine mieux en ce domaine que le basket ou le tennis.
La presse locale conclut sur un procès en nullité du football lyonnais:
« Après les dernières rencontres de Coupe auxquelles nous avons eu l’occasion d’assister, plus d’un Lyonnais se demande si la place du football régional est bien celle qui correspond à sa valeur. Se basant sur le fait que, dès les éliminatoires, la plupart de nos équipes disparaissent de la compétition nationale, on en a conclu, une fois pour toutes, à la nullité de nos teams régionaux. » Lyon-Sport, 29 mars 1929
Jugés comme nuls, les soccers lyonnais ne doivent donc compter ni sur l’appui de la presse, ni sur celui du public. Il ne peut pas non plus s’appuyer sur la municipalité – socialiste – d’Edouard Herriot qui s’oppose fermement au sport spectacle et au sport professionnel et défend l’idée d’une culture sportive de masse. Le Stade de Gerland qu’elle a fait construire dans les années 10 n’a pas été pensé pour le bon plaisir de quelques rugbymen ou footballeurs d’élite.
C’est donc sans surprise qu’en 1932 on ne retrouve pas le moindre club lyonnais autorisé à prendre part aux competitions professionnelles. Dans ce nouveau championnat, Paris s’élance avec 4 équipes et Lille, 3.
Echec #1 : le FC Lyon (1933-1934)
On n’aurait pu choisir pire période pour lancer le football professionnel à Lyon que ce début des années 30 qui voit le LOU être sacré Champion de France de Rugby en 1932 et 1933, et bientôt le rugby à XIII emporter avec lui une partie du public français et lyonnais en particuliers (1934). Le succès du rugby local est considéré comme « un gros handicap » par Chavanne, le président de la Ligue du Lyonnais, l’un des rares à croire en l’avenir de la discipline dans sa ville: « avec du travail et de la volonté, nous donnerons à notre sport la place qu’il mérite. »
Nous voilà à Jean Mazier. Entrepreneur en travaux publics et vice président de la ligue régionale, il arrive à convaincre au printemps 1933 les décideurs locaux de tenter l’aventure professionnelle, « peut-être le seul moyen de faire progresser le football régional qui n’est actuellement pas des plus brillants ». Le Rhône Sportif et le FC Lyon s’entendent, le premier prêtera ses joueurs et des fonds, le second, son nom et son Stade de la Plaine (actuel Stade Vuillermet).
Le 3 septembre 1933, le FC Lyon nouveau s’avance sur son terrain pour le premier match de l’histoire du football professionnel lyonnais. Devant environ 1.500 spectateurs, les joueurs du FCL triomphent du Deportivo de Bordeaux 5 à 2.
Afin d’aider le club et de renforcer l’engouement autour de la cause ronde dans la Capitale des Gaules, un match international est mis en place le 1er novembre 1933 entre la Hongrie B et une sélection du Sud-Est au Stade des Iris du LOU. 6 à 8.000 spectateurs et une recette de 56.000 francs prouvent qu’il existe bien un public pour le football à Lyon.
Les relations entre Mazier et le club aux damiers rouges et blancs se détériorent pourtant rapidement à la fin de l’année 1933. Celui qui a déjà dépensé 125.000 francs de sa poche, souhaiterait que le club consente également à quelques efforts financiers. Une recette de 50.000 francs promise par un membre du FCL n’aurait ainsi pas été versée.
Ces premières dissensions naissent alors même que la presse croit savoir que la municipalité de Villeurbanne fait les yeux doux à Jean Mazer (spolier: oui, c’est le cas)
Tandis que l’échec du FC Lyon dans le monde professionnel commence à être patent, la Fédération Française de Football Association (FFFA) désigne les Iris pour accueillir 8 avril 1934 une demi finale de Coupe de France entre l’Olympique de Marseille et le Racing Club de Roubaix. Les portes du stade sont enfoncés, et les spectateurs s’entassent jusqu’au bord de la pelouse. Le match se conclue sur la victoire des Marseillais 1-0 devant 8 ou 9.000 spectateurs et un record de recettes (76.486 francs) tous sports confondus aux Iris.
De ce genre de chiffres, le FC Lyon en est très loin. il y a bien un public à Lyon pour le ballon rond, simplement pas pour un club lyonnais. En tout cas pas un qui jouerait les dernières places en seconde division. Lyon abandonne le professionnalisme après une seule saison marquée uniquement par deux victoires et conclue sur une huitième et dernière place du Groupe Sud.
Emmanuel Gambardella, président de la Commission des Clubs Autorisés (ancêtre de l’actuelle LFP) prononce l’oraison funèbre et détaille les raisons selon lui de l’échec du FCL:
« Il faut un public disposé à l’accueillir et donc, une presse capable de le soutenir et de le défendre. Il faut des dirigeants capables de cristalliser autour d’eux les efforts et les dévouements, il faut encore et surtout, des équipes ou des pratiquants qui ne sont plus au balbutiement du début mais qui puissent donner à la population régionale les victoires qui flattent son amour-propre et l’attirent » Emmanuel Gambardella
Echec #2 : l’AS Villeurbanne (1934-1935)
Comme certains le laissaient entendre depuis plusieurs mois, Jean Mazier quitte bien Lyon et prend la direction de la cité des gratte ciels et de son Stade Municipal où il rejoint les rugbymen treizistes de l’US Lyon-Villeurbanne. Les couleurs lyonnaises seront désormais défendues dans les rangs professionnels par l’AS Villeurbanne (ASV).
Avec ce changement de bannière, l’équipe est largement remaniée, puisque l’ASV ne conserve que deux éléments du FC Lyon pour cette nouvelle saison en deuxième division. A la surprise générale, les néo-professionnels de la banlieue lyonnaise l’emportent pour leur première sortie en championnat le 26 août 1934 1-0 contre les Roubaisiens, tout juste demi-finalistes de la Coupe de France
Ces beaux débuts sont rapidement contrariés, le club est ainsi victime de la « guerre des terrains » que mène la Fédération Française de Rugby (FFR) contre le Rugby à XIII, jugé dissident. Les pelouses sur lesquelles sont jouées le rugby dit professionnel sont mises à l’index par la FFR. Liée par un ancien accord entre les fédérations de football et de rugby, la FFFA est contrainte d’interdire à son tour le terrain de Villeurbanne, obligeant ainsi Jean Mazier et l’ASV à un déménagement au Stade des Iris, également situé dans la ville de banlieue lyonnaise. Le club y fait ses débuts le 30 septembre devant 2.000 spectateurs (victoire 2-1 sur Amiens).
Ce départ précipité aura bien des conséquences malheureuses, une partie de la presse continuant jusqu’à fin novembre au moins à annoncer la tenue des matchs de l’ASV sur le mauvais terrain… La saison se conclut sur un nouvel échec sportif, le club se classe à l’avant-dernière place de son championnat avec 5 petites victoires seulement. C’est tout de même 3 de mieux que sous les couleurs du FC Lyon. « On progresse », se dit peut-être Jean Mazier…
Echec #3: le Lyon Olympique Villeurbanne (1935-1936)
Suite à cette nouvelle décevante saison, le dirigeant-mécène du football lyonnais tente un nouveau, et ultime, coup, il décide de réunir en juin 1935 l’ASV professionnelle et la section football du LOU pour former le temps d’une saison le Lyon Olympique Villeurbanne (LOV). Le nouveau club débute à la fin août 1934 sur sa pelouse des Iris devant 1 500 fidèles. Une nouvelle fois, le club inaugure son championnat sur une victoire (5-3 contre Troyes). Une nouvelle fois, ce succès sera l’un des seuls de la saison.
Fin janvier, les rumeurs de problèmes financiers concernant le LOV commencent à apparaître dans la presse. En février, les joueurs lyonnais acceptent d’abandonner un mois de salaire pour aider leur club.
Le 29 mars 1936, jour de derby contre Saint-Etienne, deux incidents majeurs se produisent et vont précipiter la fin de l’entente entre Lyon et Villeurbanne:
- A l’issue du match (perdu 6 à 2), une partie du public aurait assailli l’arbitre qui regagnait ses vestiaires. La police aurait été alertée. (des incidents largement exagérés selon la presse locale)
- Plus grave, Mazier et le club se seraient emparés de l’intégralité de la recette, y compris les sommes dues à l’équipe visiteuse et à la Fédération. C’est la troisième fois que le club ait accusé de ce genre de pratique. Le matin même du match, le LOV et la FFFA s’étaient justement mis d’accord pour régler sur la recette du jour les dettes contractées par le club.
Le lendemain de cette triste rencontre, le club décide sa propre dissolution et déclare donc forfait pour le restant de la saison. Il est alors classé à l’avant dernière place de la deuxième division. Par une lettre envoyée à la fédération, les Villeurbannais tenteront de faire porter le poids ce nouvel échec sur le dos des instance fédérales.
Une semaine plus tard à peine, le 8 avril, la sentence de la fédération tombe: « considérant que les dirigeants du LOV se sont rendus coupables depuis le début de la saison d’agissement inacceptables », « considérant que M. Mazier, président du LOV est l’instigateur et qu’il a, au cours de ces derniers temps, dirigé Villeurbanne dans des conditions qui effacent bien malheureusement les efforts indiscutables et méritoires qu’il avail accomplis antérieurement en faveur du football », la Fédération prononce la radiation à vie de Jean Mazier.
Deux des membres de son comité l’accompagnent dans la charrette, trois autres sont interdits d’activité pour des périodes de 3 à 5 ans. Triste fin pour Mazier qui a échoué à implanter le professionnalisme dans la Capitale des Gaules et qui finit répudié par le monde du football. Sa suspension sera levée un an plus tard, mais on ne devait jamais le revoir à la tête d’un club. En 1937, on retrouvera pourtant son nom ainsi que celui de plusieurs anciens dirigeants du LOV dans l’organigramme des Treize de Lyon-Villeurbanne. Preuve que ses multiples échecs ne l’avaient pas tout à fait éloigné du sport.
Epilogue
Suite à la dissolution du LOV, une rumeurs courra que la famille Peugeot, déjà propriétaire du FC Sochaux, allait relancer le football professionnel à Lyon. Il faudra cependant attendre 1942 pour que le professionnalisme reprenne racine dans la deuxième plus grande agglomération française, d’abord avec le LOU, puis à partir de 1950 sous le pavillon de l’Olympique Lyonnais.
En 1939, Jean Mazier recevra parmi 100 autres anonymes la Médaille d’Or de l’Education Physique et des Sports. Médiocre reconnaissance de ses efforts.
Source (1) :Le football et sa professionnalisation tardive à Lyon : de la confidentialité à la notoriété (1918-1964)
Source (2): Gallica, Retronews.