Un stade oublié: le premier Parc Lescure (1923-1934)

Lescure, pardon Stade Chaban-Delmas, vous connaissez ? Bien sûr. Sauf qu’avant Lescure, il y a eu le Parc des Sports de Bordeaux-Lescure. Déjà, un stade vélodrome de 35 000 places. Un stade qui connaîtra une vie très éphémère d’à peine dix ans. 

Le parc zoologique Lescure ?

En 1912, une société immobilière créée grâce à l’appui de la ville de Bordeaux rachète les dernières parcelles de l’ancien domaine de Lescure, propriété jusque-là d’une riche famille de commerçants irlandais. Selon le plan initial, des lotissements doivent pousser sur l’ensemble de ces terres nouvellement acquises. Mais un petit cours d’eau, le Peugue, qui a pris l’habitude de régulièrement déborder, sauve une partie des terrains de l’appétit des promoteurs. C’est près de la moitié des 15 hectares de Lescure qui sont jugés impropre à la construction de logements.

Impossible d’y construire des logements, certes, mais pas autre chose. Alors que fait-on des parcelles restantes ? Un zoo disent certains que heureusement personne n’écoutera. Un stade disent d’autres plus nombreux, ou qui parlent plus fort. Va donc pour un Parc des Sports.

Les 7 hectares restant sont confiés à une nouvelle société immobilière avec comme mission d’y bâtir un Parc des Sports autour d’un stade vélodrome capable d’accueillir plusieurs milliers de spectateurs. Le projet est confié à Cyprien Alfred-Duprat, architecte reconnu sur Bordeaux et sportsman si ce n’est de pratique au moins de cœur (il sera entre autres choses le président de l’Aero Club bordelais dans les années 30).

« Le plus beau de France »

L’ambition du projet ne laisse pas la presse locale insensible:  « Nulle ville en France ne pourra être comparée à Bordeaux, puisque nulle cité ne possédera un semblable Parc des Sports« . Ce qu’on retient aussi c’est l’installation du futur stade dans le quartier Saint-Augustin, proche du centre de Bordeaux, et la présence de nombreux tramways à proximité. A cette époque, Bordeaux est déjà riche en installations sportives de qualité (Stade Sainte Germaine au Bouscat, Vélodrome de la Côte d’Argent à Talence, terrains du CAB à Bègles, etc.). Mais rien de tout cela n’est à Bordeaux même. « Une véritable expédition » en terres hostiles pour les Bordelais.

En fin d’année 1913, les plans du futur parc sont publiés. Un archiduc autrichien en vacance à Belgrade met le le projet en stand-by pendant 4 ans. En entendant, le 144e régiment d’infanterie s’exerce sur les terres du futur Lescure à la pratique du tir avant le départ pour le front.

L’utopie gouverne

Le projet resurgit presque immédiatement après la Grande Guerre, mais il faut pourtant attendre quatre longues années pour qu’il se concrétise enfin. Le 19 septembre 1922, la nouvelle Société du Parc des Sports de Bordeaux-Lescure est constituée avec le soutient du Conseil Général et de la Municipalité. Les travaux débutent peu après.

Personne ne s’est enrichi grâce à ce bout de papier.

La première pierre – qui porte très mal son nom – est posée le 22 mars 1923 alors que les tribunes s’élèvent déjà. Elle est surtout l’occasion d’une grande cérémonie officielle présidée par Henry Paté, Haut Commissaire aux Sports, entouré de ce tous ceux qui comptent dans le sport bordelais, fédérations, ligues et clubs compris. Banquets, discours lénifiants et tournées des différents clubs sportifs de la ville ponctuent la visite du Ministre.

Comme c’est encore la norme en France, le stade n’est pas la propriété de la municipalité, mais d’une société anonyme. Mais avec une différence notable: La société est placée sous le contrôle des pouvoirs publics (Conseil Général et Municipal, ainsi que le Ministre de la guerre). Le stade n’est pas une aventure commerciale comme les autres. Les grandes manifestations organisées le dimanche doivent permettre d’assurer la viabilité du stade qui sera ouvert à tous gratuitement le reste de la semaine, notamment les élèves des écoles communales. Le samedi après-midi sera réservé aux ouvriers (des ouvriers à Bordeaux ?).

Le conseil d’administration de la société est choisi parmi les responsables des clubs sportifs de la ville. Daniel Guestier, ancien président de la chambre de commerce, en est le président. Robert Hüe (non, pas ce Robert Hue là) en devient le directeur sportif.

Evidemment, la guerre et les grandes questions du temps ne sont pas loin. Le stade doit également servir d’autres buts:

« Notre Parc des Sports poursuit le but très précis d’aider au relèvement de la race française en favorisant le mouvement sportif dans la région. Nous faisons appel à tous, enfants, jeunes gens, jeunes hommes. Il s’agit de faire des hommes » Daniel Guestier

Le plus beau stade du Monde de Gironde

(http://www.bordeauxphotopassion.fr)

Ok. C’est très beau. Enfin si on veut. Mais on trouve quoi dans ce premier Lescure ? Pas mal de choses en réalité:  D’abord un stade d’honneur entouré d’un vélodrome de 500m et d’une une piste cendrée de 400m. Une piscine alimentée par une source naturelle, des courts de tennis dont deux couverts, une salle de culture physique, un fronton de pelote, des stands de tir. Tout cela est complété par des des terrains d’entrainement et environ 60 cabines de douche, une permanence médicale ou des salles de repos.

Des tribunes aussi. Quatre pour être exact. Les prometteurs du stade assurent que jusqu’à 35 ou 40000 spectateurs pourront assister aux manifestations sportives . Une grande tribune couverte en ciment de 4 000 places assises est très certainement le point d’orgue de l’ensemble. Le prix des places variera de 3 francs en pesage, jusqu’à 10 francs pour les fastes de la Tribune d’Honneur et ses places assises.

L’Inauguration en 1924

On y trouve également un cinéma pouvant accueillir 1200 personnes et dont on pense que les séances pourront faire office d’instruction aux apprentis sportifs. Des séances de cinématographe, l’été, sur la pelouse, sont aussi prévues pour parfaire l’entrainement. L’autorité milliaire mettra ses moniteurs et des médecins à la disposition des pratiquants. L’utopie. Vraiment.

Douze ans après la naissance du projet avant-guerre, le Parc des Sports bordelais est finalement inauguré le 30 mars 1924. Pour l’occasion les quatre grands clubs du rugby bordelais (Bordeaux EC, SA Bordeaux, CA Bègles et le SBUC) se retrouvent sur la pelouse de Lescure pour deux matchs amicaux disputés devant une foule estimée à près de 30 000 personnes. Un mois plus tard, la piste du vélodrome est inaugurée à son tour avec la participation du champion du monde de vitesse en titre Paul Suter.

Un éléphant gris

Le Parc des Sports de Lescure accueille sa première compétition d’importance  le 24 avril 1924 en recevant Toulousains et Perpignanais en finale du Championnat de France de Rugby pour une réédition de l’édition 1920. Dans un match auquel personne n’aurait aimé assisté, les Toulousains l’emportent 3-0 sur un essai dont nul ne sait qui l’a inscrit. 25 000 spectateurs et le roi d’Espagne Alphonse XIII assistent à la rencontre. Ce dernier, enthousiasmé par ce spectacle fabuleux, s’empressera d’apporter la bonne parole ovale dans son pays*.

Le plus beau panoramique que vous ne verrez jamais de ce stade (1926)

Le Brennus se disputera encore à 5 reprises à Lescure (1926 et de 1930 à 1933 ), avec un record à 28 000 spectateurs à l’occasion de la victoire d’Agen sur Quillan en 1930. De nombreux demie ou quart de finale s’y tiendront également, ainsi que des rencontres du Challenge Yves du Manoir. La Fédération y organise également quelques matchs de sélection ainsi qu’un match en 1928 de France B contre la toute jeune équipe d’Espagne (53-5).

Malheureusement, ces quelques matchs ne remplissent pas un calendrier et aucun des grands clubs sportifs bordelais de l’époque ne souhaite quitter son enceinte (dont ils sont généralement propriétaires) pour le stade de Saint-Augustin. Seuls le Stade Bordelais, et plus tard le SA Bordelais, y disputent quelques matchs. Parfois même des double confrontations sont organisées à Lescure avec les deux clubs. Certaines affluences sont notables (un derby entre Stade et le SAB joué devant 10 000 spectateurs en décembre 1928 par exemple).

Robert Hüe (non, toujours pas) se démène portant pour proposer chaque dimanche une grande course cycliste. Mais les champions du monde ne sont pas disponibles chaque week-end. Quelques courses sur patins à roulettes s’essayent également sur la piste du vélodrome. Dans ce Lescure premier du nom, on peut aussi parfois croiser des Cosaques Djiguites ou des acrobates faisant semblant de risquer leurs vies.

Surprise: ce premier vélodrome était donc bien un vélodrome. (http://www.bordeauxphotopassion.fr)

Côté ballon rond, pas grand chose à signaler. Personne n’a encore eu la bonne idée d’organiser le football professionnel ou de faire jouer à Lescure les Girondins. Ce soir encore, le Sud ne va pas chanter. Au mieux, on y organise les finales de la Ligue du Sud-Ouest. Ah si, les Uruguayens, vainqueurs en titre des Jeux Olympiques, y viennent en 1925 donner la leçon au Stade Bordelais (0-4) devant 10 000 spectateurs, probablement la meilleure affluence jamais vue pour le Jeu à XI à Bordeaux alors.

Bref, pas grand chose. Ou comme disent les gazettes de l’époque « c’est pas fou, fou quand même »**. En cette fin d’années 20, on commence à s’ennuyer un peu du Côté du Parc des Sports et à regarder avec de grands yeux les comptes de la Société du Parc des Sports.

Rien ne sera conservé du premier Lescure. Pas même cette très étrange entrée, sans doute signée du Père d’Alfred-Duprat.

Lescure après Lescure

En mai 1930, la Société du Parc Lescure jette l’éponge. Le stade ne génère pas assez de revenus, les dettes s’accumulent et les actionnaires ne seront jamais remboursés. Le principe de la vente à la municipalité est acté. Avec cette vente, c’est toute l’utopie initiale du projet qui meure. Personne n’avait pensé à un tel modèle avant, et personne ne s’y risquera après. Ce transfert à la mairie est aussi dans l’air du temps, puisqu’à partir des années 20, les stades municipaux se multiplient un peu partout en France.

Deux stades se croisent.

L’ancien Lescure ferme avec la fin de la saison cycliste 1934. Les travaux du nouveau Lescure débutent peu après. L’ouverture du nouveau stade est même espérée pour recevoir le Tour de France 1935, mais le projet initial – qui prévoyait de conserver une partie des tribunes de l’ancien stade – sombre dans d’innombrables difficultés techniques. Le premier architecte de la reconstruction, Raoul Jourde étant même remplacé en cours de route par Jacques d’Welles, architecte en chef de la ville.

En 1936, Robert Hüe (non, arrêter, ce n’est toujours pas lui), quitte ses fonctions de directeur du stade-vélodrome. Avec son départ se tourne la dernière page de l’ancien Lescure.

Avec trois ans de retard sur les plans initiaux, le nouveau Lescure est inauguré le 12 juin 1938 à l’occasion du 8éme de finale de Coupe du Monde opposant la Tchécoslovaquie au Brésil (1-1). 15 000 Bordelais assistent à l’événement. Ce Lescure là, née sous le signe du football, grandira sous celui des Girondins et fera oublier à (presque) tous qu’avant Lescure, il y avait déjà Lescure.

Un hipster conséquent vous dira que ce nouveau Lescure ne vaut rien par rapport au premier.

 


* Un anecdote dans cet article est fausse, serez vous le retrouverez ?

** Ok. Peut-être deux en réalité.

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Comments

  1. Article passionant et tres bien documenté! Ou avez vous trouvé la photo de la part de souscription à l’ancien stade?

  2. Bonjour,
    Pourriez-vous m’indiquer l’origine de la photo de la porte d’entrée ? En ce qui concerne le fonds F. Baudy, se trouve-t-il aux archives de Bordeaux Métropole ?
    Merci
    Claude Mandraut

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