Hier, 3 février 2020, la Ministre des Sports Roxana Maracineanu a demandé la démission de Didier Gailhaguet, président jusque là indéboulonnable de la Fédération Française des Sports de Glace (FFSG). L’occasion de revenir sur la catastrophique gestion de ses différentes disciplines par cette fédération. A commencer par celle du patinage de vitesse durant les Jeux Olympiques de Sotchi en 2014.
Cinq secondes
Cinq secondes, c’est le temps qui sépare Alexis Contin, quatrième, d’une médaille de bronze sur l’épreuve du 10.000 m aux Jeux Olympiques de Vancouver en 2010. Le natif de Saint-Malo, 23 ans à peine, est l’une des révélations olympiques côté français. Jamais depuis André Kouprianoff au début des années 60, un patineur hexagonal n’avait paru aussi près de remporter une première médaille dans cette discipline.
Sans ces 5 secondes, le Breton aurait même été le seul médaillé de ces jeux de Vancouver pour la Fédération Française des Sports de Glace qui comme 4 ans plus tôt à Turin revient bredouille du Canada. Les disciplines dont la FFSG à la responsabilité représentent pourtant 40% des épreuves olympiques… Contin qui a grandi et a développé son art du patinage sur les pistes de roller ne doit rien à celle-ci, incapable depuis toujours de développer et de s’intéresser à autre chose que le patinage artistique qui représente 85% de ses licenciés.
A la sortie de Vancouver, Contin s’affirme pourtant sur la scène mondiale, remporte la Coupe du Monde de mass start en 2012 et intègre une équipe professionnelle en Norvège. Un semblant d’équipe de France se met également en place à son initiative et celle d’un ancien de la grande piste Thierry Loy avec l’arrivée de deux autres patineurs Ewen Fernandez et Benjamin Macé.
A l’approche des jeux de 2014 prévus à Sotchi, il est l’une des plus grosses chances de médaille(s) de la fédération. Et pourtant… en 2013, prétextant des mondiaux ratés, la FFSG décide de couper tout financement. Il ne « fait plus partie des priorités » dit-on à l’espoir français qui « doit désormais se débrouiller seul ». Selon, le DTN de la fédération Xavier Sendra, Contin ne serait plus un athlète médaillable. Tristan Loy, qui bosse désormais pour la fédération allemande, pense lui que le malouin peut viser 3 médailles…
Chacun de leur côté, Contin et ses deux équipiers de galère trouvent à l’étranger un entraîneur personnel. Lui-même récupère un contrat dans une équipe professionnelle aux Pays-Bas, le pays par excellence du patinage de vitesse.
Grâce à ses résultats en Coupe du Monde où le non-médaillable décroche 2 podiums, le patineur français se qualifie pour le 5.000 et le 10.000 m. Avec Fernandez et Macé, il obtient également un quota olympique pour l’épreuve de poursuite par équipe.
Privés de ressources par la FFSG, Alexis Contin souhaite au moins se faire accompagner par Alain Nègre, son entraîneur depuis 10 ans, venu comme lui du roller. La FFSG refuse. Contin s’en plaint. Il le dit publiquement aux médias qui veulent bien l’écouter. Il n’aurait pas dû. Dans ce petit monde là, on goutte guère que l’on étale au grand jour le linge sale.
« On essaie de faire pleurer dans les chaumières. Aujourd’hui, on est dans le mensonge et l’affabulation. On est en face d’un vrai sportif professionnel qui veut faire du fric, c’est insupportable » Xavier Sendra, DTN de la FFSG
Une fédé qui vous veut du bien
Arrivé dans la ville russe pour la grande fête olympique, Contin se trouve malheureusement diminué. Il souffre depuis plusieurs semaines d’une hyperthyroïdie, qui se traduit notamment par une grande fatigue. Le rêve d’une médaille s’envole, pas encore celui de représenter son sport dignement et de conclure de belle façon l’aventure commencée il y 3 ans avec ses deux camarades de la poursuite. La FFSG se chargera de les priver d’une telle fin.
Le quatrième des Jeux de Vancouver, trop atteint par la maladie, ne prend pas le départ du 10.000 mètres. Selon les règlements olympiques, Erwan Fernandez qui a également accompli les minimas demandés par la fédération internationale peut le remplacer. Sauf qu’il s’agit d’un patineur de vitesse français, membre de la FFSG. La Fédération a oublié de l’inscrire sur les listes de réserve. N’ayant accrédité personne pour accompagner les patineurs, pas même le moindre entraîneur comme le réclamait pourtant Contin, c’était au DTN Xavier Sendra ou à Didier Gailhaguet lui-même qu’aurait dû revenir cette tâche. Aucun des deux n’y a pensé. Sans doute, ni l’un, ni l’autre ne connaissait les règlements spécifiques de la longue piste. Pour cela, il aurait fallu daigner s’intéresser un tant soit peu à la discipline en question. Mais ce n’était pas « la priorité« .
L’incompétence et l’amateurisme sont une chose. La malhonnêteté, une autre. L’affaire aurait pu en rester là, la FFSG aurait pu faire amende honorable et présenter ses excuses à l’athlète. Il n’en sera rien. Gailhaguet réagit par communiqué accusant Bart Veldkamp, l’entraîneur néerlandais de l’athlète français, d’être la cause de cet oubli. On se fout de la gueule du monde dans le plus grand des calmes. Veldkamp n’étant pas accrédité par la FFSG, il lui aurait été impossible d’inscrire un remplaçant sur la moindre liste officielle. Ce dernier lui répondra vertement : »cette façon de sauver son cul est dégoûtante et montre le genre de personne que vous êtes« .
Malgré tout, il reste une course aux patineurs français, celle de la poursuite par équipe. A deux heures du départ de cette ultime épreuve, Didier Gailhaguet donne une interview à la télévision à propos d’Ewen Fernandez dans laquelle il se dédouane et accuse à demi-mots le coureur. L’occasion de déstabiliser ses athlètes un peu plus était trop belle. Et puis des athlètes déstabilises, ce sont des athlètes moins performants et il sera plus facile de justifier ainsi de sa nullité et de son manque de soutient au patinage de vitesse par la suite. Il ne faudrait pas que malgré tout, ils gagnent une médaille. On pourrait leur ouvrir les plateaux télé. Dangereux, ça.
« Il faut qu’ils partent »
La France éliminée dès les quarts de finale par les Pays-Bas, les jeux sont désormais terminés pour les patineurs français qui peuvent enfin dire tout le mal qu’ils pensent de leur fédération.
« C’est quoi la volonté de ces gens-là (les dirigeants de la FFSG) ? Ils sont complètement incompétents. Il faut qu’ils partent. lls nous veulent du mal, ils veulent tout simplement détruire la discipline. C’est plus que de l’amertume. Il n’y a personne au monde que je ne déteste plus que les gens de la fédération (…) Ils nous ont pourri la vie pendant trois ans » Benjamin Macé.
Alexis Contin parle lui d’une fédération « clairement contre nous ». On peut également deviner la colère tout en retenue de son coéquipier Ewen Fernandez:
La réaction d'Ewen Fernandez après l'épreuve de poursuite des Jeux de Sotchi : "Exaspération complète" pic.twitter.com/owFOAxiohk
— Aller Edgar ! (@Albertville92) February 4, 2020
Pour la FFSG, le bilan comptable de ces Jeux est une nouvelle fois ridicule. Pour la troisième fois de rang, la fédération repart du rendez-vous olympique sans la moindre médaille. Dans un monde normal, cette simple statistique devrait été une raison suffisante pour que Gailhaguet laisse de lui-même la place. Il avait d’ailleurs laissé entendre pendant les jeux qu’il ne se représenterait pas à la tête de la fédération. Foutaises, bien sûr. Il sait pertinemment que le feu médiatique sur sa personne disparaîtra sitôt les lumières de Sotchi éteintes. Et il a raison. A la fin de l’année 2014, il remportera un énième mandat contre l’ancien champion olympique Gwendal Peizerat qui avait entre temps tenté de prendre la tête de la révolte contre sa personne.
A l’issu des Jeux Olympiques, la ministre des Spots de l’époque Valérie Fourneyron lance une mission auprès de l’Inspection Générale de la Jeunesse et Sports (IGJS) en vue « d’éventuelles évolutions organisationnelles ». La Fédération y est décrite par l’IGJS comme un « assemblage artificiel et strictement administratif » qui « interdit depuis des décennies tout progrès de l’ensemble ». Le rapport préconise ainsi de favoriser l’autonomie de ces différents sports. Six ans plus tard, l’assemblage est toujours là, Gailhaguet aussi, et l’autonomie – pour ne pas parler d’indépendance – est encore un vain mot.
Côté patineurs, Fernandez arrête sa carrière sur glace dès après les jeux de 2014 pour se consacrer exclusivement au roller où il a depuis gagné de multiples titres, Macé continuera encore quelques mois et mettra un terme à sa carrière début 2015. « Mentalement, c’est beaucoup trop dur » dira t-il. Seul Contin trouvera la force de persévérer jusqu’aux jeux de Pyeongchang où il décrochera à 31 ans une dixième place sur la mass start et la onzième sur le 5.000 m.
Durant l’Assemblé Générale qui suivra les Jeux Olympiques de 2014, Gailhaguet osera ces quelques mots à propos d’Alexis Contin qui résument toute sa personnalité et la considération qu’il peut avoir pour les athlètes : « sa maladie l’a empêché de concourir aux JO, mais malheureusement pas de s’exprimer sur les ondes ». Voilà, LA priorité.
La tempête lancée par Sarah Abitbol emportera sans doute Didier Gailhaguet. On peut l’espérer et c’est heureux, mais les dysfonctionnements de la FFSG ne sont pas liés qu’à sa simple personne. Cette fédération, cet « assemblage artificiel et strictement administratif », ne peut pas fonctionner. Maintenir cette fédération, même sans son président actuel, c’est l’assurance que d’autre athlètes connaîtront un jour le même sort que celui qu’on a réservé à Contin, Fernandez et Macé. Cette fédération doit disparaître, elle a déjà causé trop de mal.
Sur la première photo, il y a Pascal BRIAND, Tristan LOY et Alexis CONTIN.
Trois mousquetaires du Roller de Vitesse français ; sans oublier … Arnaud GICQUEL et … Cedric MICHAUD !!!