Aujourd’hui, la simple lecture de l’Equipe permet de se faire une idée assez précise de la hiérarchie des sports en France, mais qu’en était-il durant les années 20 ou 30 ?
Quelle méthode ?
Pas de sondage à l’horizon pour nous éclairer sur les passions sportives des Français durant l’entre-deux-guerres. Les affluences pourraient être un autre indicateur, mais d’une part beaucoup de données sont manquantes, et d’autre part, comment comparer la foule d’une rencontre de rugby à celle qui se masse sur un col du Tour De France ? Reste donc la presse de l’époque et cet outil indispensable qu’est Gallica.
Ici, je me contenterais d’analyser la popularité des sports à l’aune de leur apparition à la une du Miroir des Sports* entre 1921 et 1938. Evidemment, une analyse plus fine pousserait le vice à compter le nombre de page, d’articles, de caractères, même, dédiés à tel ou tel sport. Mais bon voilà, ceci est un blog, pas une thèse. Admettons donc que le choix des unes soient représentatif des choix éditoriaux du journal, que ces choix soient peu ou prou représentatifs des goûts de son lectorat et enfin que le lectorat du Miroir soit représentatif des goûts des amateurs de sport de l’époque. Et si vous vous dites que cela fait beaucoup de conditions, peut-être, mais mes camemberts sont déjà prêts, alors c’est trop tard.
Ce disclaimer passé, passons aux résultats. Pour plus de visibilité, j’ai décidé de regrouper les résultats par période et de limiter le nombre de catégories. Pour les résultats complets (voir ici).
Et maintenant les points saillants
- Le cyclisme est indéniablement le sport le plus populaire. Chaque année, il fait plus de unes que n’importe quel autre sport et sa position dominante tend à se renforcer pour atteindre jusqu’à 56% des unes en 1935. Pour répondre à la demande, le Miroir se démultiplie durant le Tour de France, passant d’abord à deux éditions par semaine, puis à trois éditions à partir de 1934. Cette domination se fait essentiellement au profit du cyclisme sur route.
- Les années 30 sont également celles de la mise en orbite médiatique du football. Les débuts du championnat de France professionnel en 1932 donnent à la presse le feuilleton hebdomadaire dont elle manquait encore A la fin des années 30, le ballon rond devient omniprésent durant l’automne et l’hiver, déclassant les anciens sports d’hiver qui faisaient jusque-là la une (cyclo-cross et cross country notamment). Ce n’est qu’à partir de la reprise de la saison de cyclisme sur route au printemps que le foot se fait plus discret.
- Le rugby est le grand perdant de la période. Parmi les sports les plus à l’affiche au début des années 20 (12% des unes contre 13% pour le football au même moment), le sport s’effondre jusqu’à ne compter qu’une seule une en 1939. Evidemment la grande crise du rugby français des années 30 et son expulsion du Tournoi des V Nations n’y sont pas étrangères.
- Le rugby à XIII, apparu en 1933-1934, ne profite pas réellement du désintérêt du Jeu à XV, n’apparaissant que trois fois à une du Miroir, la dernière fois en 1936.
- On pourra enfin noter un certain désintérêt pour les sports mineurs – l’aviron, la pelote basque, l’escrime et même le baseball ont tous eu droit à la une au début des années 20, mais disparaissent complètement 10 ans plus tard – . L’actualité sportive est peut-être déjà devenue chose trop sérieuse pour se laisser aller à ce genre de souplesse éditoriale.
*Les couvertures de l’autre revue majeure de l’époque Match L’Intran laissent présager des résultats tout à fait similaires (domination du cyclisme, explosion du football et retrait du rugby).