La quête du rugby professionnel (1921-1933)

Tandis que la Fédération Française de Rugby se déchire entre partisans du professionnalisme voilé et fidèles de l’amateurisme intégral, une troisième faction cherche dès le début des années 20 à implémenter en France le rugby professionnel à la mode de la Rugby Football League (1).

Des débuts manqués

Mai 1921 (2), la presse se fait l’écho d’une possible démonstration en France de ‘rugby professionnel’. Il serait ainsi question que les treizistes australiens passent par Paris au détour de leur tournée prévue en Angleterre pour la fin de l’année. Presque immédiatement la Fédération Française de Rugby fait comprendre qu’elle ne veut rien à voir avec ce code professionnel. Le conseil de la Fédération décide d’interdire le rugby professionnel de ‘ses stades’.

« Conformément aux accords passés avec la Rugby Union, la Fédération Française de Rugby, ne peut tolérer qu’un match entre équipes professionnelles se joue sur un des ses terrains« . Certes, reste que la Fédération a une définition assez large de ce que constitue ‘ses terrains’, puisque des terrains, elle-même, elle n’en possède aucun.

La Northern Rugby Union (NRU) – future RFL – n’abandonne pour autant pas son projet. Début octobre, les Britanniques se déplacent à Paris pour confirmer la disponibilité du Stade municipal Pershing pour la rencontre désormais prévue le 29 javier 1922. Dans le même temps, la FFR réedite son avertissement précisant que le stade qui serait être utilisé par des professionnels serait interdit aux membres de la FFR.

Les pressions de la FFR finissent par porter leur fruit, et les Britanniques sont finalement notifiés de l’indisponibilité de Pershing mi-novembre. La rencontre est annulée malgré une dernière tentative de conciliation de la part du Haut Commissaire australien et la possibilité, visiblement évoquée un temps, de faire disputer la rencontre sur le terrain du Racing à Colombes.

La presse anglaise a a-do-ré les actions de la FFR

Une fois les Australiens rentrés chez eux, la NRU tente vainement d’organiser – toujours à Paris – en mars 1922 une rencontre entre Gallois et Anglais. Sans plus de réussite.

Si les responsables de la NRU, en bon gentlemen, n’évoquent pas publiquement leur déception, la presse, elle, est moins magnanime. Pour le journal de Manchester Athletic News: « Des milliers de joueurs de la Northern ont combattu sur le front français. L’aurait-on déjà oublié de l’autre coté de la Manche ?« , se posant ironiquement la question: « pourquoi la Fédération Française se montrerait-elle si chatouilleuse sur ce point de l’amateurisme »

En 1926, les kiwis néo-zélandais prévoient la tenue de deux rencontres à Paris pour conclure leur tournée en Angleterre comme cinq ans plus tôt les Australiens l’avaient espéré. La FFR s’accroche à ses règlements pour empêcher une nouvelle fois la démarche.

Fin 1927, la presse annonce la formation d’une équipe française professionnelle qui partirait faire une tournée en Angleterre. Mais là encore sans suite.

Frank Holl

En mars 1925, l’heure du rugby professionnel est enfin venue. Frank Holl annonce la création d’une Ligue Professionnelle de Rugby sur le modèle de la Rugby Football League. Frank qui ? Exactement. Sous ce pseudonyme se cache Bessieux un ancien joueur de bon niveau qui a écumé ses guêtres aux quatre coins du pays (Bayonne, Narbonne, Paris…).

Pour porter son projet, Holl s’adjoint un Comité fort de 5 membres composé de Frank Holl lui-même, devenu ‘artiste dramatique de cinéma’ pour l’occasion, de l’ariégeois Jean Caujolle ex international (5 sélections) et radié à vie par la FFR pour fait de ‘professionnalisme’, de M.P Rigoult, artiste dramatique du théâtre national, de Monsieur X, commerçant à X, et de son homonyme Monsieur X, qui lui n’habite pas à X mais à Bordeaux.

Joueurs ? Finances ? Non. La question qui taraude Holl est celle des terrains. Le Stade Bergeyre à Paris est retenu, tout comme celui de … Lézignan (!) . Il est également évoqué la possibilité de construire un nouveau stade avec l’aide ‘d’une grosse municipalité’ qui avancerait la moitié des fonds.

On entend plus parler d’Holl et de sa grande affaire pendant deux ans, jusqu’à la tenue à Saint-Girons début juillet 1927 d’un congrès de la Ligue. Un congrès duquel Monsieur X et Monsieur X sont malheureusement absents. Ce devait être la dernière fois que l’on entendait parler de la Ligue d’Holl. La presse ne se rappellera de son existence qu’une fois le premier match de rugby professionnel disputé en France. Franck Holl en profitera pour dire tout le mal qu’il pense de l’aventure de Jean Galia: « Le grand joueur n’a jamais rien crée de durable ». Frank qui ?

Frank Holl à son congrès (interprétation moderne)

Le Rugby français en crise

Le rugby français n’a pas besoin de Frank Holl pour nourrir les déchirements et plonger dans la crise. Il le fait très bien lui-même. Début 1926, la FFR quitte le Comité National des Sports ainsi que l’UFFSA. La Fédération ne souhaitant plus être liée aux accords inter-fédéraux et à l’extension des sanctions prises par telle ou telle fédération. La fédération est également terrifiée à l’idée d’être associée d’une quelconque façon à des pratiques professionnelles. La décision est prise à une presque unanimité.

« Nous le demandons au Conseil (de la Fédération), et ceci parce que, amateurs, nous ne voulons entretenir aucune relation avec certaines fédérations régissant le sport professionnel affiliées au dit comité . L’amateurisme, à l’avenir sera, comme auparavant, notre règle. Nous ne tolérerons en aucun cas les actes de professionnalisme, mais nous voulons être seuls maîtres de nos actes et non les vassaux contraints d’appliquer, vis à vis de joueurs de rugby, des mesures prises ailleurs, et que nous n’approuvons pas ».

Il est bon de préciser que le président du CNS et de l’UFFSA s’appelle Gaston Vidal et que celui-ci a vu sa Commission d’Amateurisme récemment supprimée par la FFR et qu’il n’a depuis dans la presse pas de mots assez durs contre la fédération et la tenue du rugby français. Aucun rapport bien sûr.

LA FFR réintègre le CNS en 1928 après avoir obtenu la fin de l’extension des pénalités, ce qu’elle cherchera pourtant bientôt à remettre en place si tôt qu’elle en verra l’intérêt…

Ces quelques manœuvres ne seraient cachées les réalités de l’amateurisme marron du rugby français et les dissensions qu’elles nourrissent. En réponse, les Britanniques rompent leur relations avec la France en 1931. Pour beaucoup, la question de la suppression du championnat revient au cœur des discussions et devient la seule voie pour renouer avec la Perfide et ses acolytes (ce qui sera chose faite en 1939).

L’éventuelle suppression du championnat lève un vent de révolte dans le Languedoc. Une ‘Ligue du Midi’ est annoncée portée par le RC Narbonnais et le FC Lézignan. « Nous allons défendre le championnat par tous les moyens, nous allons nous grouper, sonner la Fédération de nous ficher la paixSi elle ne nous écoute pas, nous nous séparerons d’elle, nous créerons une ligue. Le championnat c’est la vie de nos clubs, la vie de notre public, le championnat c’est tout « . Quelques contacts sont bien pris avec la RFL mais le championnat gagne un sursis de quelques années et la fronde est étouffée.

Ce rugby français déchiré par les conflits internes, répudié par les Britanniques devient un terreau fertile pour l’installation d’un nouveau code dissident, cela ne devait plus tarder.

Une fin de non recevoir

Début 1932, un représentant treiziste australien tente une première approche auprès de la Fédération pour conclure un accord entre anciens réprouvés professionnels et néo-réprouvés français. L’effronté est éconduit sans ménagement, le rugby français ne voit son salut que par les Homes Unions.

En Avril 1933, le président de la RFL Popplewell déclare auprès de quelques journalistes français: « Je ne nierais pas que nous avons déjà étudié la manière d’implanter notre jeu en France, mais nous ne le ferons que loyalement, sans nous mettre en travers de l’International Board en profitant de la situation actuelle et surtout nous ne ferons jamais la première démarche auprès des pouvoirs dirigeants français« . La RFL propose cependant de tenir une rencontre de propagande entre Australiens et Anglais à la fin de l’année.

L’ouverture de la RFL est aussitôt rejetée par la FFR. Pour son président Roger Dantou : « Il ne peut en être question. C’est une chose qui me semble tout à fait impossible. Comment.. alors que nous combattons ici en France, le professionnalisme en rugby, nous irions à un accord avec les professionnels anglais« . La Fédération croit (ou feint de croire) que la reprise avec les Unions n’est qu’une affaire de mois, elle ne peut prendre le risque d’être vue pactiser avec le diable.

Soucieuse d’amadouer la FFR, la RFL convie le président de la FFR à assister à Wembley à la finale de son championnat. C’est un nouveau refus. Le Prince de Galles, lui, y est bien pourtant. Les portes de Londres se referment, elles ne valent sans doute pas une messe. Pourtant, alors même que le premier match de rugby à XIII se sera déroulé en France et même après la création de la Ligue Française de Rugby à XIII début 1934, la RFL cherchera encore à trouver un accord avec la FFR, mais la Fédération préférera jusqu’au bout les humiliation des Unions aux avances de la League. Dont acte.

Un match de la RFL à Wembley. Beaucoup de monde, mais point de représentant de la FFR.

Alors que la fédération se débat dans ses contradictions, la question du rugby professionnel enflamme la presse. De l’Action Française à l’Humanité en pensant par l’Auto ou la presse régionale on trouve des pros et des antis. Chacun y va de sa proposition. Ouest Eclair demande par exemple la création d’une ligue pro rattachée à la FFR. Les rumeurs les plus folles courent, on prête l’idée l’idée à un groupe d’anciens internationaux de fonder une ligue pro. On murmure que le Stade Toulousain ou le Stadoceste Tarbais pourraient tourner pro, quand il ne s’agit pas de tout un comité régional. Bref, les esprits s’échauffent.

Un schisme inévitable

Dans l’incapacité de trouver un accord avec la FFR, La RFL prends les devants et se rapproche du journal L’Echo des Sports et de l’un de ses journalistes Victor Breyer, une ancienne accointance du secrétaire général de la RFL John Wildon pour mener à bien ce match de « démonstration de jeu à treize » (l’expression restera…) . Breyer effectue le dépôt pour réserver le stade et confie la promotion de l’événement à son collègue Charles Bernat.

Le curieux appel des Australiens

Moins diplomates que leurs homologues anglais, les Australiens lancent, eux, un appel signé le ‘Comité de Publicité du Rugby en France’ aux rugbymen et aux clubs français intéressés les incitant a quitter le giron fédéral. La possibilité de retrouver des rencontres internationales avec Anglais, Australiens et Néo-zélandais est au cœur de l’argumentaire.

Pour autant, la FFR ne semble pas s’inquiéter. Selon, la logique qui a prévalu depuis 1922, elle croit pouvoir une nouvelle fois empêcher la tenue du match. Le nouveau contexte (la rupture des relations avec les Britanniques) renforce encore sa conviction: « quant aux prochaines et possibles reprises franco-britanniques de Rugby, il est un fait certain, que nous nous efforcerons de tout faire pour que ce match de la Rugby League n’ait pas lieu à Paris. »

La recherche d’un ground s’avère compliquée mais pas impossible. Exit, Buffalo, Jean Bouin, le Parc ou Colombes La RFL arrête son choix sur Pershing ou la Cipale. Deux stades municipaux qui ont rarement eu les honneurs des grands matchs quinzistes. En dernier ressort, Pershing, le stade qui avait déjà été choisi pour la tournée avortée de 1922, est retenu et ce, malgré l’inquiétude du PUC, locataire du site, et une démarche de la dernière heure de la part de la FFR auprès du Conseil de Paris pour faire annuler le match. Délabré, mal entretenu, le stade construit pour les jeux interalliés de 1919 peut toutefois accueillir 22 0000 spectateurs.

La RFL cherche également à prospecter en province. En juin, un club toulousain aurait été directement approché pour accueillir une rencontre de la tournée. Mais l’exhibition se limitera à Paris.

Début octobre 1933, John Wilson, des responsables de la RFL et de la tournée australienne rencontrent Victor Breyer à Paris et s’assurent que les derniers obstacles sont levés . La date de la rencontre est fixée le jour de la Saint Sylvestre. La rencontre sera placée sous le patronage de l’ambassadeur d’Angleterre et le bénéfice éventuel ira aux bonnes œuvres de la Caisse de Secours des journalistes sportifs.

Si la rencontre s’avère être légèrement déficitaire (20 000 francs pour 10 000 spectateurs environ), elle est est un triomphe sportif. Malgré les conditions difficiles (terrain gelé), la presse est aux anges et loue dans une quasi-unanimité les qualités du nouveau jeu. Après douze ans d’attente, le rugby professionnel est finalement né en France. Désormais, peut s’ouvrir l’une des pages les plus fantastiques de l’histoire du sport français : l’implantation du rugby à XIII en France.


(1) Par rugby professionnel, il ne s’agit pas ici d’évoquer des joueurs qui seraient salariés de leur clubs pour jouer au rugby, mais simplement de joueurs recevant quelques compensations pour leur talent de joueur.

(2) Des avant la première Guerre Mondiale, un certain Mr Bureau avait interpellé la Northern Rugby Union de la possibilité de voir son code s’implanter de l’autre côté de la manche.


Source (1) :  The forbidden Game, Mike Rylance
Source (2) : La Fabuleuse Histoire du Rugby, Henri Garcia
Source (3):  French Rugby Football, A Cultural History, P. Dine
Source (4) : RetronewsGallica

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Comments

  1. « Début 1932, un représentant treiziste australien tente une première approche auprès de la Fédération pour conclure un accord entre anciens réprouvés professionnels et néo-réprouvés français. L’effronté est éconduit sans ménagement, le rugby français ne voit son salut que par les Homes Unions. »

    Il y aurait probablement une belle uchronie à écrire : « et si la FFR était passé à XIII en 1932 ? » 😉

    1. Ah oui !
      – Et si le « next baseball country » l’avait vraiment été ?
      – Et si la FFR avait accepté la main tendue de la RFL ?
      – Et si la FFF(A) s’était opposée à la professionnalisation ?
      – Et si le CORT (et le Racing, et le Stade Français, et le LOU…) évoluait toujours en L1 ?

      On peut même remonter plus loin:
      – Et si la partie de cricket prévue à Paris en 1789 avait bien eu lieu (bon, ok, il faut dégager la Révolution ^^) ?
      – Et si Louis XIV n’avait pas souffert de la goutte et avait continué la pratique de la Paume ?
      etc.

      Un jour, peut-être 😉 (bon, sans doute jamais, parce qu’écrire de la fiction, voilà quoi)

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